Inscrite pour la 4e fois sur l'Intégrale, une entorse de cheville 3-4 semaines avant le départ en a décidé autrement. La prépa cailloux déjà retardée par la neige qui refuse de fondre sera trop courte pour envisager sereinement ces 150km. D'autant que d'après la médecin des urgences je serai à peine rétablie le jour du départ. Bon, j'ai bon espoir de récupérer plus vite, mais je prends quand même l'avis de Léo mon kiné, pour dissiper les dernières hésitations et signer sur la petite soeur, la Traversée Nord. J'en profite pour signer aussi dans l'équipe des bénévoles. Et vendredi 23 août me voilà donc au Pleynet, dans l'équipe des boosters pour quelques heures, à essayer d'accueillir au mieux les coureurs qui passent sans transition du calme de la montagne à l'effervescence de la station qui vibre au son du DJ. Quel plaisir après l'édition interrompue dans la tristesse par les orages l'an dernier.
La Diag des Oufs' !
Trail running blog - récits de courses et entraînements
lundi 26 août 2024
Echappée Belle 2024 - la Traversée Nord
R0 Fond de France 4h30
D'ailleurs c'est parti. On commence sur la route pour étaler un peu le peloton, ça trottine comme si on partait pour 20km. Un quart d'heure pour avaler 2.5km, puis démarre le sentier qui monte vers le Pleynet, je sors les bâtons et c'est parti. Personne ne parle, les lueurs des frontales nous montrent la voie au-dessus. Je pousse, j'avance, et sans m'en rendre compte j'arrive au Col du Merdaret, le son des cloches, ses vaches, ses bénévoles. Il est un peu plus de 6h du matin.
Sur la crête vers le Grand Rocher la vue est belle, l'autre versant (qui nous attend ensuite) dessine sa silhouette encore sombre sur un ciel qui vire au rose orangé, et devant les coureurs se détachent en ombres chinoises dans les premières lumières du matin. Je fais quelques photos floues sans m'arrêter. Heureusement, les photographes de l'EB sont meilleurs que moi 😅
D'en bas on doit voir un joli serpent de frontales.
On est longtemps en faux plat vallonné pour arriver au ravito du Crêt du Poulet.
R1 Crêt du Poulet 6h39 - 432e
J'en repars dans la mauvaise direction, arrive à une barrière à vaches, ne comprends pas s'il faut aller à gauche ou à droite, me retourne et vois le serpent continu de coureurs qui descend derrière le ravito... Allez, c'est reparti. On descend sur du chemin forestier, je trottine un peu mais sans envie, je me fais doubler encore et encore, partie en vague 1 je dois être déjà entourée par la vague 3. Puis ça se remet à monter, Le Clay se fait attendre, et j'en ai déjà marre. C'est là que je croise Jean-Yves qui attend Laura et m'encourage d'un ''fais-toi plaisir Carole''. Ça fait plaisir de le voir, même si mon humeur maussade se lisait sur mon visage. Enfin du bitume, du bruit, de la foule, je reconnais à peine l'endroit, je ne m'attendais pas à une telle effervescence. Cédric me cueille à l'arrivée et me conduit au ravito.
R2 Pont du Bréda 7h40- départ à 8h00, 451e
Je commence par vider mon estomac dans l'herbe et m'assoir dans le van. J'ai déjà presque envie d'en rester là, mais j'ai aussi très envie de voir le col de Comberousse, et c'est la 2e qui est la plus forte. Au pire j'arrêterai à Super Collet. J'essaye de reprendre des forces pendant que Cédric remplit mes bidons et mes poches. On voit Aurélia qui est serre-file sur cette section et doit attendre les derniers. Il me faut bien 15-20mn pour réussir à repartir, 8h00, c'est calculé pour avoir le temps de monter au chalet de la Valloire avant le shunt. Au classement du point je suis quasiment dernière (en 3h31 j'ai quasi le pire chrono, heureusement que je suis partie en 1e vague), mais Cédric me racontera que des coureurs ont continué d'arriver pendant un moment, déjà épuisés. Il monte quelques mètres avec moi puis redescend, je lance la musique et grimpe.
Je commence déjà à rattraper du monde. J'ai vraiment progressé en montée (et régressé en descente). Je passe régulièrement des gars qui s'arrêtent dans un lacet pour manger ou juste souffler. Je mange une ou 2 pompotes dans la montée, mais impossible de mettre la main sur ma barre... Panne de jus, mais j'ai décidé de ne pas m'arrêter jusqu'en haut (sinon c'est interminable). Résultat il me faut moins d'1h20 pour atteindre le ravito, avec 45mn d'avance sur la barrière horaire. Un peu avant le chalet, on sort enfin de la forêt pour entrer dans mon royaume : celui du caillou, du rocher, du minéral. Les sommets se dévoilent enfin dans la lumière du matin, quelques névés brillent au soleil, j'ai peu d'énergie mais j'apprécie le spectacle. Une passerelle à traverser et voilà le ravito.
R3 Chalet de la Valloire - 9h20 à 9h25
Remplissage du bidon à la fontaine, il y a la queue, j'attrape une barre céréale pour compenser celle que je n'ai pas trouvée dans mon sac, et je repars vite. Au début le sentier serpente encore dans beaucoup de végétation, au bord du torrent. Je garde les bâtons jusqu'aux premiers chaos de blocs puis je les range dans mon dos. C'est là qu'on voit tout de suite la différence entre les montagnards et les autres. Certains gambadent avec aisance d'un bloc à l'autre quand d'autres cherchent leur équilibre, appuyés sur leurs bâtons comme des béquilles, essayant d'assurer chaque pas. La suite va être difficile.
Pour l'instant il y a encore un bon sentier, on longe le lac Blanc mais on le voit plutôt d'en haut ensuite. Une coureuse se retourne en me voyant faire une photo et admire, elle ne l'avait pas vu.
Puis le lac Noir, puis le lac Glacé qui ne l'est plus (glacé).
Puis on monte dans les blocs, j'y vais à vue d'un fanion au suivant, j'adore naviguer de bloc en bloc. Mais toute la fin est encore en neige. En haut de la petite butte, plusieurs s'arrêtent pour mettre leurs crampons. Je passe la petite descente en courant et remonte en face dans la neige, les pieds dans les empreintes laissées par les précédents, la neige marquée par les chaînes et les pointes de crampons. Des fois je patine un peu mais ça passe bien. Retour sur du caillou juste avant le col.
Col de la Valloire - pointage à 11h05 - 412e
Des bénévoles vérifient qu'on a bien nos crampons. Ça repart au sec jusqu'au col de Comberousse. La descente qui suit est bien raide avant le névé, devant un bouchon se forme, je passe dans les blocs quelques coureurs, puis comprends le problème: une fille est en train de descendre sur les fesses, assise sur le sentier, ses 2 copains derrière elle. J'attends de pouvoir passer, déboule sur le névé, et le dévale en trottinant. Je les entends commenter derrière ''y en a qui veulent vraiment se faire une cheville''. Ça me paraît difficile de se faire la cheville sur de la neige molle, mais bon... Et puis 3-4 semaines après mon entorse de la cheville, j'y fais gaffe justement, même si j'ai bien retrouvé toute ma confiance dans mes appuis depuis. Et ça va être le moment de le prouver, le névé est déjà termin. Pas compris pourquoi il fallait des crampons pour descendre ça, personne n'a pris le temps de les mettre ici... Un peu dégoûtée de les porter pour rien du coup. Mais retour sur les cailloux :)
En une grosse demi-heure de descente, je double à gogo, et me voilà déjà à l'altiplan. Une petite pause au bord du torrent pour boire et faire le plein de mon bidon, 2-3 gars font pareil. Puis arrive la jonction avec le parcours de l'Intégrale, et avec le parcours shunt (ceux qui ont bifurqué au chalet de la Valloire pour zapper Comberousse, en passant par le col du Léat et le refuge de l'Oule). L'altiplan n'est pas plan très longtemps, on remonte dans les blocs vers le fameux col du Morétan ! On entend déjà chanter Roman et son équipe, c'est vraiment dingue, et ça met la pêche. Ils voient de loin arriver un dossard rouge de l'Intégrale, demandent son prénom, et se mettent à chanter des encouragements personnalisés pour Colin. Sur le coup, je me dis que c'est peut-être le Colin rencontré sur la sortie Au-delà du Trail le mois dernier, mais trop loin pour vérifier (retrouvé à l'arrivée : c'était bien lui !). Une quarantaine de minutes de montée (ça va plus vite quand on vient pas de tout en bas au Gleyzin !) et voilà déjà le col.
Col du Morétan - pointage à 12h25 - 359e
Coucou à Roman et je descends vers le névé. Ici aussi ça bouchonne sur le sentier raide, certain-es galèrent vraiment. Le névé est beaucoup plus long que celui de Comberousse, en plusieurs morceaux, mais équipé d'une corde. Bon, on a vite fait de s'y cramer les mains (sauf à avoir prévu les mitaines comme Laura !) donc je préfère m'en passer, quelques glissades sur les fesses mais globalement j'arrive sans encombres de l'autre côté. Juste ma montre qui se met en pause par accident sur une chute, avant de redémarrer par accident sur la chute suivante. Et c'est parti pour la moraine! Au début j'essaye de tenir la corde, surtout pour éviter de me prendre les pieds dedans, mais c'est pénible, plusieurs personnes tirent dessus en même temps, et tu ne peux pas doubler. Du coup je lâche la corde et file par les côtés. Je fais bien de ne pas m'éterniser, plein de coureurs font partir des pierres, ça roule, ça gueule, je suis déjà loin en dessous. 2 gars arrivent derrière en discutant du Duo des Cimes, me félicitent pour la descente, puis avancent un peu plus vite et filent devant. Je prends un peu mon temps dans les blocs autour des lacs du Morétan puis surtout dans la partie herbeuse (je déteste courir dans l'herbe c'est piégeux dit la fille qui adore dévaler sur des gros blocs instables). Il me faudra environ 50mn depuis le col pour atteindre Périoule.
R4 Périoule - 13h19 - 288e
Je suis accueillie par la haie d'honneur des bénévoles qui mettent l'ambiance. En plus il y en a une qui a une peluche Pikachu et remarque le Pikachu sur mon short ou mon sac ''ah y a Pikachu !!'' . Puis je fonce au ravito liquide, commencer par boire 2 ou 3 gobelets d'Orangina. J'ai presque rien avalé sur cette section (j'aime pas les barres céréales et j'avais pas du tout assez de bouffe dans mon sac), j'ai un peu l'impression d'avoir passé toute cette section à jeun, il faut que je me retape. Après l'Orangina je passe côté solide, il faut se faire servir, je demande un bol de soupe et des fruits secs. Je repars avec le bol dans une main, les fruits dans l'autre, et vais me poser par terre à l'ombre d'un chapiteau. Je prends le temps de boire ma soupe, d'avaler tous mes fruits secs, j'aurais dû en emporter pour la route. 9mn plus tard c'est reparti.
Ça commence dans l'herbe le long de la bergerie, une grande tablée de bénévoles / bergers nous encourage au passage, je leur souhaite un bon appétit. Je marche vite mais trottine assez peu, toujours pas très envie, j'ai du mal à me défaire de l'idée d'arrêter à Super Collet, qui me trotte dans la tête depuis le début. Je passe une coureuse de l'Intégrale qui me demande si je connais la suite. Euh oui un peu elle s'inquiète de savoir s'il y a encore des pierriers comme ce qu'on vient de passer : non ! Je lui explique toute la section qui arrive, le sentier en forêt sous le barrage, j'avais juste oublié à quel point il était encore plein de cailloux, dans mon souvenir c'était plus que des racines, j'espère qu'elle n'a pas été trop déçue. Mais bon, en vrai c'était quand même moins difficile que le pierrier du Morétan, pour ça j'avais pas menti !
Je suis toute seule, j'arrive déjà au-dessus de ce barrage et du lac carré (13h50) puis dans la forêt. De temps en temps je double un ou 2 gars. Puis voilà la piste au Plan de l'Ours (14h15). Je profite pour dérouler un peu en trottinant 5mn.
Moins d'un km plus tard nous voilà au pied du mur. Littéralement. Bon, quand faut y aller... Je sors les bâtons qui dormaient dans mon carquois depuis le chalet de la Valloire, et commence à monter. Des gars se mettent dans ma roue, personne ne parle. On est à l'heure la plus chaude de la journée, et ça cogne. Arrivés au bord de l'eau, ils s'arrêtent faire une pause. Je reste sur ma stratégie d'avancer coûte que coûte. Un autre gars arrive derrière moi, je m'écarte pour le laisser passer, quasi à l'arrêt. Il s'arrête face à moi, me regarde, ''do you want bonbons?'' euh, oui ! Et il me verse des nounours Haribo dans la main ! J'avise son prénom sur son dossard, Giancarlo, alors je le remercie en italien, et on repart. Ça fait du bien ! Je mâche péniblement les nounours un par un, ils fondent sous la chaleur mais ça file un bon coup de boost. Je suis littéralement liquéfiée, en nage comme jamais. L'entraînement en haute altitude c'est bien, mais après 2 fois 1 semaine en Haute Ubaye avec des sorties jusqu'à 3400m d'altitude et des dodos en moyenne à 2000m, je suis super bien acclimatée à l'altitude et... au froid. J'ai pas vu passer la canicule, alors aujourd'hui pour moi, ça cogne ! Bon, c'est pas tout ça mais Cédric m'attend à Super Collet, j'avais dit vers 15h, et là je suis au point mort. La piste devient vraiment raide, je rêve d'une douche, de me changer complètement. Après presque une heure comme ça, enfin on débouche sur le balcon en forêt.
Maintenant c'est moins raide, ça va le faire. Je range les bâtons dans mon carquois, reposer mes bras. Les gars devant moi avisent le refuge un peu plus bas dans une clairière, l'un dit à son pote ''regarde on voit le ravito'' et le 2e qui répond que ça a l'air encore vachement loin. J'ose pas leur dire que le ravito on le voit même pas encore, j'ai plus de forces. Mais petit à petit ça revient, avec un peu de descente et un peu d'air.
15h35 refuge de la Pierre du Carré
Un bénévole s'est placé au croisement au-dessus du refuge avec de l'eau fraîche, il me remplit mon bidon, il propose aussi de nous arroser mais je suis déjà repartie. Ça a l'air d'une bonne idée alors je verse un peu d'eau avec mon bidon sur ma tête, c'est fou comme ça fait du bien. J'envoie un SMS à Cédric pour lui dire où j'en suis. Il y est arrivé avant midi, ça fait un moment qu'il m'attend. Le panneau de rando m'annonce la distance restante, c'est pas tout près mais c'est facile, j'alterne marche rapide et trottinage, je double, des dossards verts, des dossards rouges, c'était moi la dernière fois, c'est donc comme ça dans l'autre sens. On croise des gens venus à la rencontre des coureurs et qui nous annoncent des chiffres très précis de distance et déniv. Arrivée sur le petit collu où on voit enfin la station, je croise les doigts pour qu'ils aient balisé direct à droite et pas sur la crête aux champignons, ombragée mais vallonnée : oui ! Petit cri de soulagement et je pars dans la descente vers le petit laquet puis à travers l'herbe. Petit coup de speed sur la piste finale et je débarque un peu perdue à la base vie.
Super Collet - 15h59 - 302e
Impossible de trouver Cédric, je passe aux toilettes, puis sur le parking en contrebas, il est blindé ça a l'air d'être le chaos. Je remonte au ravito en panique, lui téléphone, et m'apprête à demander au speaker de l'appeler au micro quand il me tombe dessus. On s'installe sur des tables à l'ombre. J'arrive trop tard pour les frites au Very, dommage. A la place ce sera la soupe de pâtes du ravito. On retrouve Jean-Yves qui attend Laura ce soir, plus tard, elle a shunté Comberousse et elle avance. Je me fais une bonne pause, je mange autant que je peux pour prendre des forces. Bizarrement l'envie tenace d'abandonner ici m'est passée il y a peu, comme ça. Cédric me donne un Perrier frais, me remet de la Nok sur les pieds et je change de chaussettes et chaussures. J'ai perdu un peu la sensibilité dans 4 orteils, ils fourmillent, ils lancent, ça ira mieux avec des chaussures plus souples maintenant qu'on a passé les gros blocs. Je change aussi de T-shirt, m'assure d'avoir frontale et batterie neuve, me débarrasse avec plaisir des crampons qui lestaient mon sac depuis ce matin, les remplace par un gros stock de pompotes et barres aux noix. Je traîne un peu pour être sûre d'avoir du jus.
Super Collet - départ 16h45
J'ai ressorti les bâtons et je pars tout tranquille sur la piste, en dessinant des lacets qui n'y sont pas, en prenant tout mon temps sans me fatiguer, je sais ce qui arrive. En passant sous le télésiège je ne peux pas m'empêcher de penser qu'on aurait pu monter plus vite en s'asseyant sur un siège, pour s'économiser un peu de fatigue. Mais j'avance, et bientôt le télésiège s'arrête, en pause pour la nuit lui. Bizarrement même comme ça je monte plutôt bien. On arrive sur la crête, on passe derrière l'arrivée du télésiège, point de vue magnifique en face sur les Grands Moulins, il ne vaut mieux pas penser que Val Pelouse est tout là-bas au bout... On continue sur la crête puis on descend vers le col du Claran, il est environ 17h55.
De là il faut descendre au fond du Bens, on commence effectivement par descendre vers le refuge du Claran, mais après ça remonte. Je le savais heureusement. D'autres coureurs se demandent si on a déjà attaqué la grosse montée. La descente qui suit est humide, boueuse par endroits. Ma chaussure s'enfonce et je l'arrache péniblement avec un gros slurp façon sables mouvants. Au fond, on traverse la passerelle du Bens installée par l'EB il y a quelques années. Il est environ 18h45, il commence à faire un peu plus frais.
La remontée en face commence pire, gadoue à gogo. Je ressors mes bâtons pour pousser. Plusieurs personnes qui s'étaient arrêtées un peu au chalet ou au torrent pour prendre de l'eau se retrouvent derrière moi, mais j'ai pas envie d'avoir la pression du rythme des autres. Heureusement je les perds très vite, à ma grande surprise. Tout le monde fatigue on dirait. Il me faut presque une heure pour gravir ces 2km. On sort de la forêt peu avant le refuge, les sommets se dévoilent à nouveau, dans la lumière du soir cette fois. Le panneau jaune à l'intersection de la Bourbière annonce l'arrivée imminente vers ce refuge caché jusqu'au dernier moment.
Refuge des Ferices - vers 19h40
J'ai mis quasi 3h depuis Super Collet, c'est bien ce que j'avais prévu. Il n'y a pas grand chose à manger, du chocolat et des trucs au chocolat, impossible pour moi. Je prends juste un gobelet d'eau gazeuse et m'assieds sur un caillou, ou plutôt m'affale, pile là où le bénévole prépare un feu. J'envoie un update à Cédric qui m'appelle. Quelques minutes passent avant que j'arrive à bouger. Je remplis mon bidon à la fontaine et repars après 7'30'' de pause. La fin va être dure et la nuit approche. J'espère atteindre le col avant pour sortir la frontale près des bénévoles du Poste Montagne.
Pour l'instant j'avance, je laisse passer de temps en temps, je fatigue vraiment, le manque de sommeil commence à peser. Ça commence à monter sec pour Arpingon. Je me rappelle qu'il est méchant ce col mais ça fait longtemps que je ne l'ai pas refait. Un autre gars arrive derrière, je propose de le laisser passer, il me répond que c'est pas la peine, on arrive bientôt au col. ''Tu es sûr ?''. J'aimerais y croire. Alors je donne un (petit) rythme et on avance comme ça, il est avec un pote je crois, il admire (et nous fait admirer) le coucher de soleil en face derrière Super Collet.
Il n'a pas tort, faudrait pas oublier pourquoi on est là. Et c'est toujours aussi fou de voir le chemin parcouru, pas sur une carte ou un tableau de passage, mais sur la montagne qui déploie ses bosses et ses replis, ses sommets et ses forêts à l'infini tout autour.
Ça discute des premiers qui sont déjà arrivés et douchés, alors que pour nous une autre course commence. La lumière baisse de plus en plus, je commence à me demander quand il faudrait que je m'arrête pour sortir ma frontale. Et ma veste sans doute aussi parce que la température a chuté d'un coup, et le vent s'est levé. Mais je ne veux pas perdre mon petit train. Évidemment comme d'habitude le col joue à cache cache avec nous, on croit y être mais c'est une farce, et il nous faut plusieurs ressauts comme ça pour enfin voir les bénévoles. Je me serai finalement arrêtée sur un caillou 200m avant pour mettre ma frontale. Le gars qui me suivait se retourne, me dit un truc que je comprends pas, je crois qu'il a proposé de m'éclairer, lui avait déjà sa frontale sur la tête, mais depuis quand? Mais j'ai déjà sorti la mienne, il dit ''trop tard'' et disparaît. (C'était Cyril, il m'a retrouvée à l'arrivée, et en plus c'est un pote de Théo de Au-delà du Trail, et on s'est retrouvés à parler de lui dans la voiture en rentrant, le monde est petit !) J'enfile ma veste, allume ma lampe, réalise que je voyais les loupiotes au col juste là, et repars. Il m'aura fallu 1h15 depuis les Férices, quand le panneau de rando indiquait 1h20.
Col d'Arpingon - poste montagne altitude 2197m, pointage à 21h00 - 259e
La bénévole nous annonce 5km et quelques pour Val Pelouse, j'ai 2 secondes d'optimisme, puis elle ajoute ''il faut compter 2 heures''. Pas moyen ! Je commence à dormir debout, il faut que j'aille dormir, et je ne tiendrai pas 2h. On part en balcon, devant moi la silhouette imposante de la Tête de la Perrière se détache dans l'obscurité, et je me prends à avoir peur. Qu'est-ce que je fais là en pleine nuit, à moitié endormie ? Pas de réponse. La réponse est peut-être en train de résonner à Aiguebelle. J'ai déjà oublié la question. J'avance.
Et puis ça remonte, encore, un passage bien raide, j'ai toujours les bâtons. Il faut monter sous le col de la Frèche avant de passer sous les Grands Moulins. Sur le topo on a encore grimpé 238m sur ces 5km. Puis enfin ça descend, d'abord très raide, dans le noir c'est galère, à mon tour d'utiliser mes bâtons comme béquilles. Pourtant je double un peu, mais je ne vois plus qui est qui. Le sentier n'en finit pas d'être technique, et mes yeux se ferment tout seuls. J'observe avec jalousie un gars qui arrive en trottinant et me dépose sur place. Avancer coûte que coûte, j'enclenche le pilote automatique. On me double, je double. J'entends des cloches, ça ne peut pas être déjà le ravito ? D'un coup une forme au milieu du chemin, il me faut un moment pour comprendre : des vaches. Bâtons rangés, je les salue au passage. On commence à voir les frontales au-dessus de nous qui montent vers le col de la Perrière. Une fille me demande désespérée s'il faut encore qu'on grimpe tout ça : ''non, enfin si mais après le ravito''. Soulagement. Puis d'autres derrière moi ''ma montre me dit qu'on arrive dans 300m mais on voit toujours rien, il doit rester au moins 1km...''. Mais un spectateur les rassure ''on arrive bientôt? - 300m'' eh oui la montre avait raison. D'un seul coup on sort de la forêt et on voit le ravito juste en-dessous de nous. Il m'aura fallu 1h21 depuis Arpingon, je savais bien que j'allais pas mettre 2h ! J'éteins ma lampe sur les derniers mètres dans l'herbe, Cédric m'attrape au passage, je demande direct à dormir.
Val Pelouse - arrivée 22h24 - 255e
Je fais tout comme il faut pas, je ne me change pas, je ne mange pas, je vais juste direct sur la couchette du fond à la recherche d'un peu de calme et m'écroule. J'enfile un pull, j'enlève mes chaussures et je me cache sous la couverture. Marianne est secouriste là et vient voir comment je vais, ça fait plaisir. Je sombre dans un demi-sommeil, pas grave si je dors pas vraiment, pas grave si je perds du temps, pas grave s'il me faut la nuit entière pour finir, je dois me reposer. La barrière horaire est à 2h du matin, dans ma tête je me fixe avant minuit pour repartir. Après une heure à comater, j'émerge pour commencer à préparer la suite. Manger. Mettre une batterie neuve dans la frontale. Changer de sac. Plus besoin des bâtons, de toute façon j'ai rattrapé tellement de quasi-chutes sur la dernière portion que j'ai mal au dos, aux bras, partout. Du coup je prends mon sac plus petit, plus léger, avec juste le minimum obligatoire, le pull et la veste sur le dos parce que ça caille, les vêtements de secours, la couverture de survie, la batterie de rechange au fond du sac, plus besoin de bol non plus. Cédric transfère mon dossard dessus, je mets un iPod neuf dans ma poche, et je suis prête.
Val Pelouse - départ 23h55 environ
Il m'accompagne sur quelques dizaines de mètres, tout mon barda sur les bras, dur dur la vie de suiveur. Puis je monte toute seule en musique dans la nuit étoilée. Enfin des sensations que j'aime. Les difficultés sont passées. J'avance en chantant. A mon tour d'observer les frontales qui continuent d'arriver en-dessous de nous vers le ravito. Puis un grand truc brillant au-dessus de l'horizon : c'est la lune qui se lève, floutée par une couche de nuages. Joli spectacle qui m'éclaire la crête au-dessus.
Je sais où je suis, je sais où je vais, je ne fais pas trop gaffe aux fanions, jusqu'à n'en voir vraiment plus aucun à perte de vue, bizarre. Un oeil sur la carte sur ma montre juste pour vérifier que j'ai pas raté la bifurc : non non. D'ailleurs je la vois bientôt, avec un fanion pour indiquer la descente à gauche. Direction les sources du Gargoton, tout au fond. Je vois très peu de fanions, beaucoup plus de balises du GR peintes sur les rochers. Bon en même temps on ne peut pas se tromper il n'y a qu'un sentier ! Arrivée au fond des sources du Gargoton vers 1h15 du matin. De l'autre côté, ça remonte. J'avance toujours toute seule. J'ai trop chaud, j'ai fini par tomber le bonnet, la veste, le pull... On commence bientôt à deviner le col. Souvenirs d'Intégrale, un passage ici avec Aurélia il y a quelques années.
Col de la Perche - quasi 2h du matin.
Roman est en haut, il enchaîne après le Morétan. Je crois qu'il y a un feu ? Je discute à peine puis je réalise qu'il fait froid, je remets ma veste par-dessus mon sac en prévision de la crête ventée et repars très vite. On descend un peu puis on remonte par l'Arbarétan jusqu'au Grand Chat. Le vent s'est mis à souffler méchamment. Je me rappelle les prévisions météo données au départ, rafales à 60km/h, on y est. Quelques gouttes de pluie passent à l'horizontale dans les rafales. J'ai froid mais ce serait littéralement impossible d'enlever ma veste, chercher mon pull, et tout remettre, sans qu'une rafale ne m'arrache l'un ou l'autre. Une seule solution, avancer. D'un coup j'aperçois l'énorme cairn qui marque le sommet du Grand Chat (et le patou, il te laisse pour mort ! Souvenirs souvenirs ). Soulagement, la suite devrait être plus abritée.
Grand Chat - 2h40 du matin
Pas le temps de traîner, je file dans la descente. Enfin, filer est un bien grand mot. C'est raide et glissant, la pluie n'arrange rien, et je n'ai plus mes bâtons. Prudence. Très vite je vois de la lumière au Col de Champet, il est 3h du matin. Juste le temps de pointer et je m'enfonce en forêt. Je passe un gars qui se perd dans des calculs, on lui a annoncé 5km de descente, mais la section depuis Val Pelouse devait faire 15km, et il y avait déjà 2.2km pour tel col et 1.9km pour tel autre point, etc. S'il savait qu'en plus on fait un détour pour aller chercher le nouveau ravito au Bourget au lieu du Pontet... Pas envie de calculer, ça ne sert à rien, on arrivera quand on arrivera, c'est aussi simple que ça. Même la pluie ne me donne pas envie de courir pour arriver plus vite, alors je marche. D'un coup une chauve-souris passe dans le faisceau de ma frontale, j'ai à peine le temps de la voir battre de l'aile qu'elle a déjà disparu dans la nuit.
Il pleut toujours mais je me suis réchauffée maintenant qu'on est abrités du vent. J'écoute toujours la musique en marchant vite sur le single, en trottinant quelques pas de temps en temps. On traverse la piste plusieurs fois, puis un bout de bitume. Je réponds à Cédric qui me demande où j'en suis. Dans la nuit je ne reconnais rien. La dernière fois sur l'Intégrale j'étais arrivée là dans la soirée, avec encore la lumière du jour. Et les éditions d'avant, le ravito était au Pontet. Au bout de la ligne de bitume je vois des coureurs partir à droite et j'entends un bénévole annoncer ''c'est par là le ravito'', mais par là ça veut dire où? je veux les suivre vers la droite, mais je finis par voir qu'il me fait des grands signes, c'est à gauche. On traverse un champ, Cédric m'attend dans l'herbe, il pleut toujours.
Bourget en Huile - 4h du matin - 241e
Je m'assieds sur une chaise sous les barnums, ou plutôt entre 2 barnums. Les toits me gouttent dessus, ma chaise est mouillée, mon short aussi maintenant. Tant pis, c'est bien d'être assis. Cédric me donne des nouvelles de Laura qui a arrêté à Val Pelouse vers 1h du matin, il l'a ratée de peu pour arriver ici. Il me ravitaille. Un bol de soupe, remplissage du bidon, changement de batterie dans la frontale au cas où. Une bénévole met l'ambiance, elle nous raconte des blagues, elle fait mine de noter le numéro du coureur à côté de moi qui doit lui payer une bière à l'arrivée, j'ai pas tout compris. On est tous décalqués, à moitié hagards, on aura oublié son nom et peut-être même le nôtre dans 10mn, et elle est là en pleine nuit sous la pluie à 4h du matin à vider nos poubelles avec la banane, c'est beau. Respect. En tous cas moi ça me donne des forces. Cédric me demande ''tu veux repartir quand? - maintenant'' . Je lui laisse mon pull, il est mouillé et je n'en aurai plus besoin, au pire j'ai toujours les vêtements secs sous poche étanche, mais je ne risque plus d'avoir froid maintenant. On reste en forêt, très bas, et on va vers le jour. Il m'accompagne jusqu'à trouver le sens du départ, je me méfie, dans le noir je serais capable de partir à contresens et pas sûr que mon mental fatigué se remettrait d'une erreur d'aiguillage.
Le départ est facile, façon forêt mystique, c'est du faux plat, peut-être même du vrai, mais je ne cours jamais plus de quelques dizaines de mètres d'affilée. Je suis un peu perdue, on serpente entre les arbres, il y a des passerelles en bois, des flaques. Il pleut toujours, je me remémore le gars au ravito qui nous a promis que c'était juste une ondée, qu'on serait au sec pour finir. Il me faut une heure pour rejoindre le Pontet, toute cette section n'existait pas avant, ça rallonge vachement. Enfin le panneau des Granges du Pontet, je reconnais, ça va commencer à monter. Deux gars de retrouvent derrière moi, ils discutent, je participe un peu. Des petites grenouilles ou crapauds bondissent sous nos pas de temps en temps. Une chouette hulule au loin, à plusieurs reprises, son chant nous accompagne.
Et voilà, on débouche sur la vieille piste en haut de la bosse. On vient de finir les derniers mètres de dénivelé du parcours. On y est presque. Je trottine à peine, j'ai mal partout, mon ventre complètement contracté, mes orteils de nouveau bizarres, pas envie de forcer, ça va bien finir par revenir. A la place je défile les chansons dans mon iPod pour trouver un truc motivant. Je tombe aussi le kway que je garde noué autour du sac, au cas où, la pluie s'est arrêtée, pour le 5e fois. On est quelques-uns à avancer là-haut, seuls tous ensemble, certains en binômes. Puis on quitte la piste à gauche pour attaquer le sentier. Je trouve une place sur un tronc qui sert déjà de banc à un autre gars, pour enlever enfin les gravillons qui traînent au fond de mes chaussures depuis trop longtemps. Puis c'est parti.
Ne pas s'emballer au début, je me rappelle de 2 ou 3 murs. En fait il y en a un gros qui fait mal, un 2e tout petit et c'est fini. Ça descend, le début est détrempé, super glissant, je rattrape quelques dérapages et croise les doigts pour que ça ne soit pas comme ça jusqu'en bas. Et heureusement ça ne dure pas. Le mieux est d'accélérer, c'est contre intuitif mais on glisse beaucoup moins en engageant dans la descente qu'en essayant de freiner. Bon il faut juste avoir encore les quadris pour tenir mais de ce côté-là tout va bien, aucune douleur musculaire, même la cheville a tenu nickel.
Plus on descend et plus j'accélère, je me paye quelques joyeuses dévalades quand la pente et le terrain s'y prêtent bien. Je reçois des encouragements de quelques spectateurs matinaux. Puis commence le bitume, entrecoupé de passages en chemin. On voit la ville en contrebas, des nuages d'humidité accrochés aux sommets autour dans les couleurs pastel de l'aube. Je prends le temps d'immortaliser la vue
Un gars en profite pour me rattraper et me suit un moment, puis je le distance, il me rejoint de nouveau un peu plus loin sur un replat, alors que je profite de la fin des sous-bois pour ranger ma frontale dans une poche. Il me félicite pour la descente, je ne sais plus ce que je réponds, mais j'aurais dû dire que c'était pas fini. J'adore finir en sprint, même après 90km ou 150km. On arrive à hauteur d'un van, c'est des copains à lui qui l'encouragent en roulant un moment à sa hauteur, j'accélère et les dépose, le van me double en klaxonnant un peu plus loin au moment où on part sur la piste derrière les parkings. J'ai mis la musique à fond et j'accélère encore, plus personne n'existe, je ferme les yeux, je suis à plus de 12 à l'heure (4'47''/km sur le segment Strava des derniers 1km65 ). On tourne à gauche, je double des gars qui marchent, des bénévoles me font traverser une rue, puis les plots sous le panier de basket, encore une rue où une voiture doit s'arrêter pour me laisser traverser, l'entrée du parc un peu désert, les barrières dans l'herbe, une arche bleue, une arche rouge, la cloche. J'attends que le gars devant moi ait fait sa photo pour la sonner à mon tour, une bénévole me fait quelques photos en disant que c'est pas tous les jours. Non, seulement tous les ans...
Aiguebelle, 7h33 - 221e
Puis j'enlève tout, mon sac, veste, ceinture, t-shirt, j'appelle Cédric qui s'est endormi dans le van et j'attends qu'il arrive, encore plus crevé que moi. Cyril vient me voir et doit m'expliquer qu'on était ensemble au col d'Arpingon, vu qu'il était derrière moi je l'aurais pas reconnu, mais c'est cool de se retrouver, il vient de finir un peu avant moi. Giancarlo l'italien aux bonbons a fini aussi ce matin. Après la douche et une sieste, mes jambes me réveillent en râlant, paraît qu'elles ont mal. Je vais me faire masser puis je reviens voir les arrivées. Plus tard le speaker annonce un Colin, et c'est bien lui qui arrive, on retrouve en même temps Théo qui a arrêté au Pleynet et revenu l'accueillir. Une pensée pour tous les copains qui ont dû arrêter avant la cloche, David, Yann, Laura, ce sera pour une prochaine fois ! Le parc se peuple petit à petit, vers midi ils lancent les podiums, interrompus pour accueillir le dernier à grand coups de clapping sur les barrières, on fait un boucan d'enfer, ça doit lui faire bizarre. Ils inaugurent une nouvelle tradition : c'est le dernier à sonner la cloche qui monte sur le podium la remettre en trophée à la première femme. Et puis il faut déjà partir. Vivement l'an prochain !
Livetrail avec le dossard 1622
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