A la fin l'épisode précédent, je quittais la 2e Base Vie de Champex-Lac (km122.4 - alt 1477m) à 19h en compagnie de Heine, un coureur Danois.
Chapitre 4 - une nuit et 3 bosses, second souffle au petit matin
BOSSE 1/3 CHAMPEX-BOVINE-TRIENT
Champex - Bovine (montée) - 9.9 km - 751m+ - 246m- , durée 2h39
D'abord frigorifiée en quittant le ravito, après quelques minutes à claquer des dents je finis par me réchauffer. J'ai plutôt bon moral malgré le froid et la nuit qui arrive. Il ne reste "plus que" trois bosses et un gros marathon pour rejoindre l'arrivée, et maintenant que je suis aussi loin, je ne peux plus échouer. En plus, il y a 2 points d'assistance avant l'arrivée, et je vais donc retrouver régulièrement Mickaël pour me remotiver si besoin. D'ailleurs il reprend la route, et je continue avec Heine. C'est rassurant de ne pas être seul pour affronter la nuit. Il espère atteindre le haut de la bosse (Bovine) avant la nuit, mais pour l'instant on ne monte toujours pas, au contraire on descend ! Après une longue portion de plat le long du lac et en traversée de la ville, sur bitume, on commence à descendre franchement sur une large piste. Du coup on essaye de trottiner un peu, mais ça fait mal, au ventre, à l'estomac, aux côtes, et on ne va même pas plus vite, donc on change d'avis et on se contente de marcher vite. On suit un couple de japonais qui trottinent devant nous mais ne s'éloignent pas, preuve qu'on fait bien de marcher.
En bas de la descente, on atteint un petit ravito, juste deux tables sur un coin de parking. En fait comme ils n'ont exceptionnellement pas pu monter d'eau à Bovine cette année, ils ont installé un point d'eau avancé, avec un gros panneau "dernier point d'eau avant Trient". Mais je bois assez peu, il fait nuit et froid, et j'ai mon Powerade dans la poche en plus de mon Camelback plein d'eau, donc ça ne m'inquiète pas du tout et je passe mon chemin.
On traverse une route, une flèche UTMB est tracée à la peinture orange sur le sol, et c'est seulement là que je réalise que je suis en train de courir l'UTMB... à force de m'interdire de penser plus loin que le prochain ravito depuis le départ, de me concentrer sur des sections gérables mentalement (il ne faut surtout pas se dire "encore 120km", c'est un peu trop dantesque, c'est un coup à se décourager), de ne surtout pas penser à l'arrivée à Chamonix parce que c'est encore bien trop loin, j'étais restée super concentrée sur ces micro-objectifs. Mais d'un coup cette simple flèche et ces 4 lettres me font réaliser l'énormitude de ce qu'on est en train de faire. Un frisson, un peu de fierté, et un petit coup de boost. Mais il faut vite se reconcentrer.
Car cette flèche nous envoie sur un chemin qui commence enfin à monter. Et du coup Heine me distance très vite sur ses grandes jambes. Le serpent de frontales est beaucoup plus épars que la 1e nuit, mais il y a du monde derrière, c'est rassurant. Je gère la fatigue dans la montée, et il m'arrive même de passer du monde, parfois, mais beaucoup plus me doublent (682e à Champex, 693e à Bovine).
Philippe (3634) et Cyril (3188) arrivent derrière moi dans la montée de Bovine en parlant d'altitude. Je leur dis qu'on est à 1830m, sauf erreur de mon GPS. On devrait donc arriver très bientôt au checkpoint de Bovine, et je comprends que les 150m de D+ annoncés dans la portion de descente sont en fait dès le début : le checkpoint n'est pas tout en haut mais 100 ou 150m plus bas, à l'abri du vent... On n'a donc pas fini de monter. On entend les cloches, puis on traverse un troupeau de vaches, fantômes sombres qu'on voit à peine, en plein milieu du chemin. Le coureur à côté de moi, pas rassuré, commente qu'il vaut mieux pas qu'elles soient méchantes. Je passe tranquillement, elles s'écartent pour nous.
On passe une petite tente, des lumières et des balises tout autour indiquent le chemin (il fait nuit noire maintenant, à presque 21h30), on ne fait que la traverser sans s'arrêter, pour se faire bipper, et on continue à monter. Je demande la distance restante et le bénévole me dit 5-6km, donc je table sur 6 (toujours être pessimiste). Mon GPS affiche toujours 5 bornes de trop sur la distance officielle, et avec le manque de lucidité je me dis qu'ils ne savent pas compter et je stresse, mais en fait ça vient plutôt des pertes de satellites dans les ravitos en dur :-).
Après ça on monte encore 150m de dénivelé avant d'attaquer un faux plat parsemé de traversées de torrents et de rochers. Je suis seule dans le noir, ambiance fantomatique. J'en profite pour faire un arrêt technique, je m'écarte à peine du chemin (pas envie de faire la moindre distance en trop), il suffit d'éteindre la torche et je disparais soudain aux yeux des autres coureurs. Le gars qui était juste devant moi (je me suis arrêtée avant de le doubler) se retourne, sans doute surpris de ne plus entendre mes bâtons ou voir ma torche derrière lui, puis continue sa route. Je ne tarderai pas à le rattraper. Je trouve aussi un plan de course perdu par un autre coureur et le ramasse pour remplacer le mien.
Bovine - Trient (descente) - 6.6km - 144m+ - 811m-, durée 1h09
On attaque ensuite une vraie bonne descente technique, redoutée par beaucoup, et là c'est moi qui double tout le monde, d'abord en marchant vite, puis je relance en courant, abandonnant là le gars avec qui je discutais. "C'est un phare" commente un coureur en voyant la lumière de ma torche : "j'aime bien voir où je vais", je répond en continuant de plus belle sur le sentier technique. La descente est assez affreuse au début : gros cailloux, traversée de torrents sur blocs branlants, passage super raides, tout est humide de rosée, ça glisse...
Puis on passe les fameuses "marches" dont quelqu'un m'avait parlé, de l'appréhension plein la voix, du coup je les avais imaginées en montée, mais en descente c'est assez épique aussi : des marches énormes, irrégulières, au point qu'il faut souvent planter les bâtons en bas pour s'aider à les descendre... Mais je me fais quand même plaisir, d'autant plus que je redouble ceux qui m'ont passée en montée, et d'autres.
Puis on rejoint une longue et large piste, parsemée de petits trains de coureurs agglutinés, sécurisés par la présence des autres. J'accélère, double un groupe après l'autre, récupère dans le confort d'un groupe avant de partir vers le suivant. A chaque fois il faut lutter contre l'envie de rester dans le confort et la lumière d'un train, contre l'inertie de suivre le rythme donné par le meneur d'allure, pour s'enfoncer à nouveau dans l'obscurité à la poursuite du train suivant. Puis les wagons se font de plus en plus distants et clairsemés, il n'y a bientôt plus que quelques wagons isolés, sur la large piste qui nous fait descendre jusqu'au Col de Forclaz.
On emprunte alors à nouveau un petit sentier, où je croise un bénévole/spectateur qui marche à l'envers et m'annonce "dans 10 mn la route". Je me dis que je n'ai même pas hâte d'y être, mais je regarde mon chrono par curiosité pour voir combien de temps je mettrai en vrai : pas loin de 20mn... mais je cours toujours. A l'arrivée à Trient, je suis passée de la 693e (Bovine) à la 670e place dans la descente.
RAVITO TRIENT - KM138.9 - ALT 1300m - 12mn33 de pause
J'arrive à Trient à 22h53, avec l'impression (l'illusion ?) d'être plutôt en forme. Je décide de m'arrêter très peu de temps pour avoir de l'avance sur ceux que j'ai doublés, sachant qu'ils vont me re-rattraper dans la montée, comme ça je serai pas toute seule, et j'aurai du monde à doubler en descente. Je bois encore un bouillon de pâtes, finis les pâtes comme je peux avec les doigts, et embarque un stock de caféine sous forme liquide (V shoots) et gélatineuse (Mule gels café ! miam !), j'en mange un au ravito pour me lancer, et c'est déjà reparti !
Un arrêt express donc. Avec le recul, peut-être une première erreur dans une course plutôt bien gérée jusqu'à maintenant. Excès de confiance dans mon illusion de forme? Peur de me retrouver toute seule dans la montée? Manque de lucidité après 30h de course?
BOSSE 2/3 TRIENT-CATOGNE-VALLORCINES
Trient - Catogne (montée) - 5.0 km 816m+ - 85m-, durée 2h02'31"
Après un départ enthousiaste, pleine de motivation et de caféine, j'ai tôt fait de m'écrouler complètement et d'avancer au radar. Un espagnol de passe en me demandant "t'es bien ?", je lui fais une vague réponse positive pas très convaincante, il se retourne encore "seguro?", cette fois je donne une réponse plus appuyée. Je ne sais pas d'où je la sors, car en fait je ne suis pas du tout sûre d'aller bien, je m'endors, j'ai du mal à respirer et à parler, donc même pas la peine d'espérer chanter, dommage ça m'aurait réveillée...
Je me rends compte que je n'ai plus aucune volonté, plus de motivation, j'ai juste envie de m'arrêter et de dormir, mais j'ai au moins la lucidité de savoir qu'il faut continuer d'avancer à tout prix. Je m'arrête d'avancer 2 secondes en appui sur mes bâtons mais je sens que si je ne repars pas immédiatement je vais m'endormir là et mourir de froid et je suis pas sûre de me réveiller...
Philippe et Cyril essayent de me repêcher dans la montée mais finiront par prendre de l'avance. Philippe me rattrape et me demande si ça va : "non, je suis complètement vidée, j'ai plus rien", il me dit que lui aussi (ça me rappelle l'échange de l'an dernier au retour au ravito des Contamines quand Patrice m'avait repêchée). Philippe me parle de loin en loin avant d'être hors de portée. Il discute avec Cyril d'une cabane qu'il croit voir en haut, et ça doit être là qu'on va, mais moi j'ai les yeux rivés sur ma montre, le dénivelé passe au compte goutte, 30m par 40m, ça n'en finit pas.
Sur cette deuxième bosse de la nuit, c'est le contraire de Bovine, on monte d'abord tout en haut puis on commence déjà à descendre, le checkpoint est plus loin dans la descente. Sans doute placé là pour être à l'abri du vent. J'ai toujours pas sorti mon kway d'ailleurs, mais je ne crois pas que j'ai froid... il me semble que j'ai déjà mis mon bonnet sous la frontale, et mes gants. Une fois au sommet on commence donc à redescendre vers le checkpoint, et je dois repasser Cyril et Philippe quelque part dans ce début de descente, car le tableau des temps de passage dit qu'ils sont arrivés 10 mn après moi à Catogne.
Au checkpoint la bénévole dans la petite tente tout illuminée me bippe (je n'ai perdu que 3 places dans cette montée), et quand je lui demande elle me dit qu'il y a 5km de descente puis me pousse presque dehors, mais elle a raison, il ne faut pas s'attarder là, une seule chose à faire, redescendre. Moi qui avait attendu ce checkpoint comme une pause dans mon calvaire, je n'ai même pas le temps de réaliser que j'en suis déjà repartie...
Catogne - Vallorcine (descente zombie) - 5.3 km - 33m+ - 797m-, durée 1h36'08"
La descente qui suit est tout simplement in-ter-mi-nable. On entend des cloches, je sais pas si c'est des vaches où les encouragements qui montent du ravito. Mais on ne voit pas la moindre lumière de ville à l'horizon, rien que la nuit noire, et personne autour de moi. Je prie pour que quelqu'un sorte de la nuit, un bénévole, un spectateur, Mika ? J'espère à moitié qu'il vienne à ma rencontre, j'ai presque envie de l'appeler à la rescousse, mais ça serait tricher, et puis c'est à moi de trouver la force d'avancer. J'accueille néanmoins avec gratitude les moindres mots échangés avec les trop rares coureurs qui me doublent, pourtant limités essentiellement aux politesses de base, "salut", "pardon, merci", "courage"... A part ça, toujours personne autour, je suis toute seule dans la nuit à guetter des signes de vie.
C'est bien la première fois de ma vie que j'ai envie de pleurer dans une descente. Le début de descente est beaucoup trop technique pour mon état de forme : encore de gros blocs instables, une pente raide glissante, des traversées de torrents à gué, des racines, des marches... je glisse et manque tomber et j'en ai marre, je ne suis pas loin de craquer.
Je suis super en avance sur les barrières horaires, je n'ai pas à m'en inquiéter (ça me change), d'ailleurs je ne sais même pas à quelle heure est la barrière à Vallorcine. En fait elle est à 9h15 (d'après vérification post-course), ce qui veut dire que je pourrais parfaitement dormir toute la nuit et repartir demain, mais en même temps j'ai envie de faire un bon temps. Quand Bovine était passée à peu près bien je m'étais mise à espérer faire 36 ou 37 heures, ou peut-être au moins tenir ma prévision en 38h30. Mais ces objectifs s'éloignent à chaque pas un peu plus, tandis que je fais naufrage sur cette descente catastrophique (j'y perds 18 places). Il n'est plus trop question de faire un bon temps, et les objectifs de "performance" sont à double tranchant : formidable motivation quand tout va (relativement) bien, ils peuvent aussi générer une déception éventuellement insurmontable quand tout commence à aller de travers. Mais pour l'instant il n'y a pas le choix, il faut rejoindre le ravito suivant. Et une fois arrivée, il faudra que je "perde" du temps à dormir, "perte" de temps relative car potentiellement amortie par une fin de course plus rapide une fois reposée.
Enfin une dernière pente herbeuse,
et je débouche sur la route, une barrière, une balise, un groupe de personnes, on me dit "non, à gauche", je comprends rien, je vois plus rien. Un gars vient me prendre par l'épaule, me parle, me guide vers la route, et je met un long moment à comprendre que c'est Mika, en fait... :-) il m'accompagne sur le bout du bitume jusqu'au ravito, j'ai les yeux dans le vide et je traîne mes bâtons par terre par les dragonnes, les spectateurs me félicitent mais j'ai plus la force de répondre, il faut que je dorme. Il me semble qu'on marche comme ça pendant une éternité sur le bitume à travers le village avant d'atteindre le ravito.
Ravito Vallorcine - KM149.2 - ALT 1260m - 2h45du matin - 1h02'39" de pause
En entrant dans la tente je cherche la personne qui doit me bipper, je demande même aux filles derrière l'ordi du chronométrage, mais c'est comme à tous les ravitos, c'est automatique en passant sur le tapis... plus très lucide moi... Je traverse le ravito, assez vide, prend des tucs avec du fromage et du saucisson, tout ce que j'évite depuis le début de la course mais j'ai besoin de changement, puis je demande les kinés, on m'envoie en face dans la gare. Le toubib, Alain, m'offre un lit de camp et un massage, et j'essaye de m'endormir entre 2 coureurs qui ronflent, pendant qu'il me masse en discutant avec Mika, en leur demandant de me réveiller dans une demi-heure. Tiraillée entre "ne pas perdre trop de temps, pas besoin de dormir très longtemps pour que ça soit efficace" et "j'ai vraiment vraiment besoin de dormir ça sert à rien de repartir dans cet état". Puis je me dis que la dernière bosse sera plus sympa au lever du jour qu'en pleine nuit. Je somnole jusqu'à ce que Mika me réveille à 3h22, je me lève et crampe immédiatement...
Passage aux toilettes puis retour dans la tente du ravito pour un bol de soupe, emporter des barres salées pour la route, des gels au café, et le reste de ma bouteille de powerade (je bois moins la nuit...). J'ai vraiment du mal à repartir. Du coup j'essaye de me donner du courage en m'habillant très chaud, je mets le collant long, la polaire, le buff en polaire, bonnet et gants (et j'oublie que je porte toujours pour rien dans mon sac un collant plus léger et un t-shirt long devenus redondants). Comme j'ai dû enlever mes chaussures pour passer mon collant long, j'en profite pour en changer aussi, l'amorti commençant à bien se tasser, je repasse sur les Mizuno bleues que je portais la 1e nuit. Le luxe quand même de pouvoir changer de chaussures 3 fois pendant la course ! :-)
Je n'ai plus re-rempli ma poche à eau depuis que Mika l'avait fait pour moi à Champex (je crois), pas bu bcp d'eau plate cette nuit.
Je quitte le ravito super couverte, avec Mika (encore plus couvert ^^), il fait drôlement froid dehors maintenant. Il fait quelques centaines de mètres avec moi avant de faire demi-tour. On passe devant un grand feu de joie à la sortie du ravito, tellement beau, et sa chaleur est tellement attractive, mais je dois résister. Mika essaye aussi de me dire que c'est une mauvaise idée, mais je m'en approche, un peu, beaucoup, encore plus près... et repars quand même sans m'arrêter.
BOSSE 3/3 VALLORCINES-TETE AUX VENTS-CHAMONIX
Vallorcine - Col des Montets - 3.7 km - 196m+ - 0m-, durée 48'07"
La première partie de la montée est facile et passe très vite. Je suppose qu'on est au Col des Montets quand on traverse une route avec quelques bâtiments et un parking plein de monde, avant d'attaquer un chemin en face. Cette bosse passe relativement vite. J'avais joué à me faire peur avant en imaginant la montée finale de 1000m (exprès, pas de faux espoirs) alors qu'en fait c'est 950m D+ sur la dernière étape, mais 250 pour le col déjà, puis 600m seulement pour la Tête aux Vents, et 100m de plus pour la traversée vers la Flégère. Du coup forcément ça passe plus vite que prévu, et c'était le but ^^
Bref arrivée au col j'ai déjà beaucoup trop chaud, j'enlève ma polaire, mets le buff et les gants dans ses poches, et la tasse tant bien que mal sur le côté de mon sac. C'est là que je réalise que j'aurais dû sortir quelques vêtements moins chauds devenus inutiles et que je porte toujours (matos obligatoire en fond de sac, un peu moins chauds et redondants avec ceux que j'ai maintenant sur le dos).
Col des Montets - La Tête aux Vents - 4.0km - 661m+ - 0m-, durée 1h47'14"
Dans la montée je commence par dépasser des gars, puis je fais loco pour 2-3 gars qui s'accrochent à moi. Je me sens bien et je me félicite d'avoir pris le temps de me requinquer. Quand mes doigts recommencent à geler je repêche mes gants dans la poche de ma polaire et les enfile. Puis je réalise d'un coup que je commence à m'endormir de nouveau, sans m'en rendre compte je laisse de nouveau mes bâtons traîner par terre derrière moi, et leur cliquetis finit par remonter à mon cerveau. Je commence aussi à avoir vraiment faim, je m'arrête carrément (c'est rare), une dizaine de gars qui suivaient pas loin en profitent pour me rattraper et s'éloigner devant, je prends le temps d'enlever un gant et sortir un gel, je ne trouve plus que pomme strudel (j'ai dû finir ceux au café dans la bosse précédente), l'ouvre avec les dents et le sirote en avançant.
Vers le haut la montée devient de plus en plus compliquée, dans des gros blocs, puis des marches taillées dans le roc, des bouts d'escalade, on dirait la section de l'Obiou que j'avais adorée, mais en pleine nuit avec 150 bornes dans les jambes ça m'amuse un peu moins bizarrement... mes bâtons me gênent un peu aussi. Difficile de naviguer dans tous ces blocs des fois, de trouver le meilleur chemin dans le noir, heureusement qu'il y a quelques balises mais perso j'en aurais bien voulu un peu plus.
En haut dans le vent j'ai re-froid et je remets ma polaire, j'arrache un côté de mon dossard en remettant la ceinture par dessus la polaire, mais je le laisse comme ça pour l'instant, en comptant m'en occuper au ravito. Puis on arrive sur des gros cairns et je pense avoir atteint le sommet. Je regrette qu'il fasse nuit, me disant que j'adorerais sûrement me balader dans ce coin de jour. Mais un peu plus loin un jeune bélévole (gendarme de montagne je crois) m'accueille et me bippe à la Tête aux Vents, à 6h23 du matin. Je lui demande de me raccrocher mon dossard puis je continue mon chemin.
La Tête aux Vents - La Flégère (balcon) - 3.0 km - 10m+ - 274m-, durée 52'
Il ne me reste maintenant plus qu'à traverser vers La Flégère, un sentier en balcon descendant de toute beauté, que j'avais parcouru sur le marathon du Mont Blanc. En plus, pour ne rien gâcher, le soleil commence à se lever et nous offre un spectacle sublime, dont on ne profite que mieux avec 160km dans les jambes, et la perspective d'une arrivée triomphale imminente. C'est tellement beau que pour la première fois de la course, je prends le temps de sortir mon téléphone pour quelques photos. J'y passerais bien la journée, et je suis presque jalouse du randonneur qui vient de monter et qui va profiter du spectacle toute la matinée. Mais j'ai quelque chose à finir !
Je discute en anglais avec 2 coureurs pendant un moment, on admire le paysage, une cascade dévale dans une faille de la falaise à notre droite, tandis que le soleil se lève sur le Mont Blanc à notre gauche. Puis j'essaye de me forcer à trottiner pour profiter vraiment de cette fin de course, et je les sème. Je lance de la musique sur mon téléphone pour me motiver.
La Flégère - Chamonix (sprint final) - 7.8km - 100m+ - 928m-, durée 1h
Le ravito de la Flégère est bien vide, c'est à peine un ravito, plutôt juste un checkpoint. Je traverse une tente presque vide sans m'arrêter, me fait bipper (7h09 du matin, 734e place, altitude 1860m). J'avale un V shoot pour bien me réveiller avant la descente finale, mais aussi et surtout pour le sucre (j'ai faim !). A la sortie de la tente, il reste un petit bout de remontée sur piste, puis on bascule dans la descente, sur la large piste. J'y vais A FOND ! A un moment la large piste s'incline bien et je dévale à toute vitesse, quand soudain j'arrive sur un bénévole qui nous indiquait de tourner à gauche dans un petit chemin qui coupe les lacets de la piste, l'air tout étonné de me voir débouler comme ça avec un grand sourire :-D
Je m'arrête le temps de me créer une mini-playlist spéciale (unfaithful, titanium...) et repars à fond, je dévale le sentier entre les arbres, saute les bosses et les racines, je suis juste survoltée. En plus je double, et aussi croise, énormément de monde. Les coureurs que je passe sont pour la plupart cassés, avançant difficilement, en boitant parfois, sur la piste qui nous ramène à Chamonix, je les encourage au passage. Les spectateurs me félicitent et m'encouragent, j'ai droit à un "allez gazelle !" au passage, un autre commente que je "tricote" bien :) Tout ça me donne la pêche, même si je dois ralentir de temps en temps pour récupérer.
Je traverse une cour / un jardin (La Floria), où un homme me dit qu'il ne reste que 3km.
C'est à la fois beaucoup et tellement peu. Plus que 3 km de souffrance avant d'atteindre enfin l'objectif, mais aussi plus que 3 km pour profiter de ces moments inestimables où l'on sait qu'on a gagné, qu'on va finir, qu'il ne reste plus qu'à profiter, où l'on court en plein bonheur.
Chamonix, altitude 1035m - arrivée
Et puis je débouche en ville, les policiers qui font la circulation pour nous m'indiquent le chemin, il faut traverser le pont, puis je reconnais la longue traversée de la ville de l'an dernier, tout le monde dort encore, il n'y a pas grand monde, mais on m'encourage. Un petit groupe rassemblé derrière une barrière me tend des mains à taper au passage, j'attend la musique, je guette les chariots de feu, mais je n'entend rien de rien... j'aurais dû la mettre dans le walkman...
Et j'arrive en sprint, j'ai la pêche !
Accueillie par le speaker qui me demande comment s'est passée la nuit, je répond que "la nuit je préfère pas en parler, mais ce matin lever de soleil magnifique sur le Mont Blanc",
puis il me pose encore 2-3 questions au micro et tout, et me montre mon classement sur l'écran géant, 282e senior homme, je lui fais remarquer, ça fait bien rigoler tout le monde ^^
Puis je récupère mon gilet finisher et retrouve Mika à la sortie de l'aire d'arrivée.
Je passe au ravito pour une pomme et une boisson de récup mais c'est au lait donc berk en fait.
Mais on passe à la boulangerie super bien placée sur la ligne d'arrivée :) avec une armée d'autres finishers qui ont eu la même envie ^^ pour une tartelette aux framboises, et 10 mn plus tard pour une autre aux abricots, les autres pour des croissants / pains au chocolat. Je reste un moment debout aux barrières à applaudir les finishers puis le besoin de m'assoir se fait sentir. J'aimerais bien recourir l'arrivée mais avec les Chariots de feu, maintenant qu'ils ont allumé la musique (je suis arrivée trop tôt...). En fait j'ai super envie de courir et de sauter partout, je suis pas encore redescendue de mon nuage, j'ai la super pêche.
Direction le gymnase pour une douche (aïe, quelques brûlures), je claque des dents 5 bonnes minutes dans le vestiaire en sortant, puis je mets mon collant long et mon surpantalon parce que j'ai trop froid et je n'ai rien d'autre à part des shorts...
Puis direction la kiné, qui admire mes muscles encore très souples ("j'aurais pas deviné que tu venais de courir 170 km"), puis c'est le podo qui passe par là qui admire mes pieds même pas inflammés (j'y ai un peu mal quand même, ils ont bien chauffé) et note que j'ai un grain de peau pas favorable aux ampoules, chance.
Je suis toujours en pleine forme, on va s'assoir sur le mur au dessus de l'eau pour voir passer les finishers, Thierry vient de passer pendant que je me faisais masser, zut... il nous rejoint pour encourager les suivants, puis on va à la pasta party, plâtrée de polenta avec du poulet, miam, ça change des pâtes. Plus pain, fromage, riz au lait pour le dessert, je reprends des forces ! Puis juste quand je commentais combien j'étais étonnée de n'avoir toujours pas sommeil, je tombe, pousse mon plateau et m'endors sur la table en pleine conversation :-) 5 mn, puis c'est Hyacinthe qui arrive, donc on va le rejoindre sur la place. et là aie aie aie, de 1 j'ai la tête qui tourne dès que je me lève (malgré le repas consistant pourtant), et de 2 mes genoux me crient dessus (je l'ai bien cherché un peu ^^).
On assiste à la remise des prix,
tous en gilet finisher comme il se doit,
et on fait quelques dernières photos finish
avant de reprendre la route pour Grenoble. Eh oui, lundi c'est la rentrée !