C'est donc reparti toute seule à l'assaut du Taillefer. En fait on commence par un long (trop long) prélude : de Vif on grimpe d'abord vers Saint-Georges de Commiers. Alors qu'on traverse un village, je trouve au tournant d'un virage Hakim assis par terre, visiblement au plus mal, et Didier qui essaye de le relancer. Je le motive à s'accrocher et à me suivre et continue aussitôt : il se relève et les 2 me suivent dans la traversée à plat, on s'arrose à une fontaine, puis on sort du village en montée et ils me sèment vite.
On attaque le gros morceau avec le col de Lachal, très moche et très raide, en direction du lac de Laffrey. Je me rends compte que je n'ai pas du tout assez mangé à Vif et depuis le début de la course en général, je suis en panne sèche, je cale dans cette horrible montée. C'est un sentier en sous-bois que j'avais pourtant reconnu avec Marc, mais peut-être plus en forme ce jour-là je ne m'en rappelais pas... ça monte raide raide raide, je pousse sur les bâtons et profite des 2 fois où notre sentier traverse la piste pour faire une pause sur le replat. Quelques pas à plat qui font du bien, et puis il faut déjà repartir. Autour de moi personne ne fait plus le malin, on est tous dans la même galère. D'ailleurs en fait il n'y a pas grand monde autour de moi : on a laissé les 40km à Vif et les relayeurs sont déjà partis depuis longtemps, il n'y a plus que nous les 160 solo, et on n'est pas bien nombreux et déjà bien étalés.
On arrive enfin à Laffrey en début de soirée, je suis déçue de ne pas y trouver mon assistant, au moins pour le plaisir de voir une tête connue, et aussi pour recharger ma batterie de montre déjà à moitié vide (GPS toutes les secondes + cardio, ça use...). Par contre j'y retrouve Hakim et Didier qui ont dû arriver un moment avant moi vu leur rythme tout à l'heure. Je m'arrête assez peu, le temps de boire un bouillon chaud et salé avec quelques vermicelles au fond, d'abord surprise, trouvant que c'est un peu tôt pour une soupe, mais finalement ça fait grand bien. Et d'emporter 2 gels dans mes poches : il va falloir manger un peu plus si je veux tenir jusqu'au bout et sans hypo. Puis c'est reparti le long du lac, au milieu des promeneurs et touristes en maillot de bain... Choc des mondes, première.
On attaque la montée vers la Morte, où il vaut mieux arriver bien vivant... Ma montre donne des signes de faiblesse et j'envoie un message à Bernie pour le retrouver au Poursollet avec mon chargeur ; il aurait peut-être pu venir dès La Morte mais j'avais peur qu'il arrive trop tard et qu'on se rate. Je monte sur ce sentier dont je me rappelle de notre reco (j'ai reconnu quasi tout le parcours, ça renforce ce sentiment de courir "à la maison" et ça m'aide psychologiquement à savoir à quoi m'attendre), jusqu'au sommet de la bosse où Marc avait eu le malheur de m'annoncer "on est en haut" et avait appris l'importance de la nuance "presque" :-)
C'est là que Dominique du Pas de Calais me rejoint, on discute de la difficulté de cette montée, et il me dit que je l'ai dépassé dans la montée de Lachal, ça me surprend, je n'avais pas eu l'impression de doubler qui que ce soit, les yeux sur mes chaussures. On échange nos prénoms et ça lui rappelle qu'on a déjà couru ensemble sur la TDS 2011 où j'avais expliqué en anglais à des coureurs étrangers qu'il ne fallait pas couper les lacets dans les bouchons du col de la Youlaz (ça je m'en rappelle), puis sur l'UTMB 2012 où je l'aurais doublé sur la descente finale (ça je m'en rappelle pas) : quelle mémoire !
La piste est devenue plus cool sur la fin de la montée puis sur la descente vallonnée qui s'ensuit sur les hauteurs de la Morte. On voit le village en bas mais grâce à la reco je sais qu'il faut être patient et qu'on va devoir encore remonter dans les pistes de ski pour y arriver. Mais...
C'est un moment que j'aime beaucoup, le soleil se couche (déjà... là je commence à être en retard sur mon plan) et le ciel et les montagnes autour de nous prennent des couleurs magnifiques, ombres chinoises bleutées sur ciel rose orangé, dans les derniers rayons du soleil.
Sunset by les photographes Ut4M |
Sunset from La Morte by me |
Il commence à faire sombre, il hésite à sortir sa frontale du sac. Pas de problème pour moi, en prévision de la nuit je l'avais rangée à portée de main dans une poche côté du sac, et je la sors sans m'arrêter : on y voit tout de suite beaucoup mieux ! On descend d'autant plus vite et on arrive bientôt au ravito de La Morte.
Et là, encore une bonne surprise pour moi : j'y vois Bénédicte ! Cool :-)
Malheureusement elle doit attendre dehors, le ravito étant abrité dans un tout petit bâtiment où beaucoup de coureurs se bousculent déjà. Je trouve une chaise, bois un ou 2 bols de soupe, reprends de l'eau, embarque quelques provisions (miam les nounours haribo ^^) et m'apprête à repartir, avec environ 45mn de retard sur le plan à cause de mon petit détour et surtout de mon craquage dans Lachal (ou de l'optimisme de mon plan). Sauf que la sortie est barrée par 2 ou 3 bénévoles qui vérifient le matos obligatoire, tout le matos obligatoire : même pas juste les frontales et la veste, mais aussi le gobelet, la poche à eau, la bande de strapping, le sifflet, etc. Forcément ça prend un peu de temps, je m'en sors pas trop mal en lui faisant cocher les trucs dans l'ordre où je les sors plutôt que de les sortir dans l'ordre assez aléatoire de sa liste. Dehors je retrouve Béné mais n'ai pas le temps de m'attarder beaucoup plus avant de m'enfoncer dans la nuit.
Direction : le Pas de la Vache. Je l'attaque seule, en me concentrant sur les conseils de Pat pendant la reco Echappée Belle : des petits pas, ne pas se mettre de "cartouche", ne pas plier trop le genou et faire trop travailler le quadri, mais prendre plutôt des petites marchés intermédiaires. Le début de la montée est relativement cool, piste herbeuse, puis on attaque le Kilomètre Vertical, balisé avec des panneaux de dénivelé tous les 50 ou 100m. Mon ipod toujours sur les oreilles, je retombe sur la même chanson qu'à la reco sur laquelle j'avais fini la montée à fond, mais elle ne fait pas le même effet ce soir dans mon état de fatigue, dommage. Le sentier monte toujours en lacets, je suis toujours toute seule, et de plus en plus mal... Je finis par m'assoir sur un rocher au bord du sentier, mais je suis dans le passage, et gêne plusieurs coureurs qui me dépassent. Je continue encore un peu puis m'écroule sur le côté un peu plus en retrait du chemin et m'allonge carrément sur le côté en fermant les yeux, je suis claquée. Le prélude au Taillefer a eu raison de moi...
Je somnole au moins à moitié jusqu'à l'arrivée de Christophe le lorrain, qui me "réveille", me demande si ça va, et me donne un efferalgan pour ma "tête qui tourne" (oui, c'est bizarre un efferalgan contre une hypo, mais sur le coup j'étais pas tout à fait assez lucide pour m'interroger). On repart ensemble en discutant. Je titube, un moment je tombe toute droite sur le talus herbeux à notre droite, ma fesse droite pile sur un caillou... aïe, je vais avoir un bleu encore ;-) une autre fois il me rattrape alors que je titube de l'autre côté, moins accueillant pour une chute. La fin de la montée est comme promis illuminée de flambeaux, ça réchauffe les mains car il fait bien froid, on se réchauffe en montant mais on sent bien qu'il fait frais. J'ai déjà sorti mes manchettes. Un militaire nous accueille en haut, la vue "époustouflante" est camouflée par la nuit noire qui nous entoure, et j'avoue que je n'y prête aucune attention, juste soulagée d'atteindre le sommet, et pressée d'entamer la descente pour se mettre à l'abri du vent.
On descend sur l'arête du Brouffier, le lac du même nom est caché dans le noir et on ne le verra presque pas... On remonte en face pour aller chercher la descente sur le Poursollet. Autant je l'avais adorée à la reco, autant cette nuit elle est rendue glissante comme un toboggan par l'humidité, et je la trouve juste horrible. Je dois me servir de mes 4 jambes pour ne pas tomber, bâtons indispensables mais même pas suffisants... je n'ose pas me lâcher de peur de faire une chute, et on n'avance pas... Je suis toujours avec Christophe qui veut suivre sur ma frontale car il a des problèmes avec la sienne, qui finalement remarchera plus tard. En plus ma montre m'a lâchée, plus de batterie, après que j'ai passé la montée à scruter l'évolution du dénivelé tous les 50m, et je me retrouve "à l'aveugle", sans savoir à combien on est du ravito. Mais comment faisait-on avant ?
On atteint la route et on la suit quelques dizaines de mètres, j'ai un faux espoir qu'ils nous fassent suivre la route plutôt que le GR jusqu'au ravito, mais on bifurque aussitôt... Le GR remonte au-dessus de la route, est plein de bosses, et jonché de racines, branches et autres flaques à éviter, là j'aurais préféré le bitume... Christophe est au téléphone et il râle sur tout, les cailloux la distance le déniv, etc, je préfère reprendre mes distances et avancer seule vers le ravito. Je croise d'abord Anthony le responsable info qui s'est écarté un peu du ravito pour essayer de trouver du réseau pour nous scanner et envoyer nos positions au PC. On est un peu à l'écart de toute civilisation ici... Il m'annonce que le ravito n'est plus très loin, et effectivement je ne tarde pas à y arriver.
J'y retrouve Bernie qui m'a apporté mon chargeur de montre, mais aussi... une boîte de sushis :-D Le ravito est tenu par des sorcières, j'y retrouve Linda, qui me propose sa "potion magique" : du jus de pomme chaud, au miel et à la cannelle, ça c'est une vraie bonne idée ! bien chaud bien sucré, parfait pour se requinquer. Je mange aussi quelques sushis, c'est pas mal comme idée ça aussi :-) Puis Didier arrive, il a semé Hakim qui n'avançait vraiment plus, il a tout essayé pour le remotiver mais ça devenait trop dur pour lui de l'attendre. Je lui propose des sushis (qu'il décline, je dois être la seule à pouvoir m'enfiler des sushis en pleine nuit au milieu de nulle part ^^) et surtout de repartir ensemble.
Linda, la sorcière à la potion magique du lac du Poursollet |
La lune presque pleine sur le Taillefer |
Et voilà "déjà" les Chalets de la Barrière, marquant la fin du plateau (mais pas du massif, le plus dur reste à venir...). Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est, ma Fenix se recharge avec Bernie, et j'ai pris la 910 qui n'affiche que quelques kilomètres depuis le Poursollet. Je suis passablement en retard de toutes façons, et je sais où je vais. Aux chalets ils font un grand feu et un BBQ ! je m'assieds sur le banc près du feu, en faisant attention aux étincelles volantes, pour manger une saucisse, trop bon ! Et surtout ça change des gels et autres pâtes de fruits. Je prends mon temps pour savourer ma grillade, et Didier arrive peu après moi, en 1h de traversée du plateau comme je lui avais annoncé.
Un gars se lance dans la descente devant moi, le bénévole nous l'annonce raide mais sèche, je suis soulagée et pars à sa poursuite. Mais en fait le sentier est trempé d'humidité de la nuit, et la terre damée glisse à mort... J'ai redouté cette descente et prévu 1h30 pour l'assurer... Je dépasse vite le gars puis me retrouve encore une fois seule, on est très étalés et même en avançant bien c'est rare de doubler. Je descends sur les bâtons, c'est raide et ça tape, ça glisse, je fais quelques dérapages, je dépasse 2 ou peut-être 3 coureurs, et finis par me réchauffer avec l'effort, la perte d'altitude, et l'abri du vent fourni par les arbres. Je fais une pause sur un gros rocher plat pour enlever gants et veste, et repars sans m'être fait rattraper.
Enfin je finis par déboucher dans le village avec fontaine vu en reco, je traverse un peu de bitume, descends un lacet sur la route, prends l'escalier et retombe sur le chemin qui descend à Rioupéroux. Des signaleurs m'y annoncent 1km pour le ravito, je le voyais plus près. Un autre escalier pour descendre sur le parking, un pont pour traverser le ruisseau, une remontée vers l'école, on passe devant l'ancien chemin, pas un chat, pas un coureur qui repart en sens inverse, ni même un signaleur, ça m'étonne. L'endroit semble assez désert et paumatoire (d'ailleurs Ricardo l'a traversé tout à l'heure en ratant la base vie, partant droit vers l'Arselle sans s'arrêter). Un vague panneau "arrivée" sur une barrière, je suis un peu perdue et j'aurais bien voulu voir un signaleur ici, mais je fais le tour du bâtiment illuminé et d'où vient du bruit, et j'y trouve la première "base vie".
Je suis un peu déçue à premier abord, en guise de base vie il y a juste une table au fond d'un hall ouvert sur l'extérieur d'un côté. En fait il y a encore tout un couloir avec une salle de repos, des kinés, c'est très bien, c'est juste moi qui imaginais quelque chose de plus grandiose après ces 13 ou 14h passées dans le Taillefer (de 15h45 hier à 5h et quelques ce matin, c'est pas pire qu'à la reco). Bernie s'occupe de mon sac pendant que je mange une soupe et une assiette de pâtes nature (déjà plus de sauce tomate...). Puis je passe chez les kinés dans une petite pièce derrière, il n'y a personne c'est cool ! Le kiné me demande où j'ai mal : le dos, les bras (qui ont bien souffert de l'usage intensif des bâtons sur cette section), les mollets, les isquios, les quadris, et même les fessiers. Son collègue lui fait remarquer qu'il aurait mieux fait de me demander où je n'avais pas mal :-) Je profite du massage un bon moment, puis d'autres coureurs arrivent, ils hésitent à réveiller un collègue pour faire face à l'afflux. De mon côté je me change, m'équipe, m'occupe de mes pieds (Nok, nouvelles chaussettes et nouvelles chaussures), et repars après cette pause déjà trop longue, avec ma Fenix toute rechargée.
Yves le chef de poste qui nous avait déjà servi de pilote sur le balisage mardi me propose de m'accompagner un peu pour me montrer le démarrage du nouveau chemin du Kilomètre Vertical qui monte vers l'Arselle. A l'assaut de Belledonne !
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