dimanche 16 février 2014

UTMB 2013 - chapitre 4

A la fin l'épisode précédent, je quittais la 2e Base Vie de Champex-Lac (km122.4 - alt 1477m) à 19h en compagnie de Heine, un coureur Danois.

Chapitre 4 - une nuit et 3 bosses, second souffle au petit matin 
 
BOSSE 1/3 CHAMPEX-BOVINE-TRIENT

Champex - Bovine (montée) - 9.9 km - 751m+ - 246m- , durée 2h39

D'abord frigorifiée en quittant le ravito, après quelques minutes à claquer des dents je finis par me réchauffer. J'ai plutôt bon moral malgré le froid et la nuit qui arrive. Il ne reste "plus que" trois bosses et un gros marathon pour rejoindre l'arrivée, et maintenant que je suis aussi loin, je ne peux plus échouer. En plus, il y a 2 points d'assistance avant l'arrivée, et je vais donc retrouver régulièrement Mickaël pour me remotiver si besoin. D'ailleurs il reprend la route, et je continue avec Heine. C'est rassurant de ne pas être seul pour affronter la nuit. Il espère atteindre le haut de la bosse (Bovine) avant la nuit, mais pour l'instant on ne monte toujours pas, au contraire on descend ! Après une longue portion de plat le long du lac et en traversée de la ville, sur bitume, on commence à descendre franchement sur une large piste. Du coup on essaye de trottiner un peu, mais ça fait mal, au ventre, à l'estomac, aux côtes, et on ne va même pas plus vite, donc on change d'avis et on se contente de marcher vite. On suit un couple de japonais qui trottinent devant nous mais ne s'éloignent pas, preuve qu'on fait bien de marcher.

En bas de la descente, on atteint un petit ravito, juste deux tables sur un coin de parking. En fait comme ils n'ont exceptionnellement pas pu monter d'eau à Bovine cette année, ils ont installé un point d'eau avancé, avec un gros panneau "dernier point d'eau avant Trient". Mais je bois assez peu, il fait nuit et froid, et j'ai mon Powerade dans la poche en plus de mon Camelback plein d'eau, donc ça ne m'inquiète pas du tout et je passe mon chemin.

On traverse une route, une flèche UTMB est tracée à la peinture orange sur le sol, et c'est seulement là que je réalise que je suis en train de courir l'UTMB... à force de m'interdire de penser plus loin que le prochain ravito depuis le départ, de me concentrer sur des sections gérables mentalement (il ne faut surtout pas se dire "encore 120km", c'est un peu trop dantesque, c'est un coup à se décourager), de ne surtout pas penser à l'arrivée à Chamonix parce que c'est encore bien trop loin, j'étais restée super concentrée sur ces micro-objectifs. Mais d'un coup cette simple flèche et ces 4 lettres me font réaliser l'énormitude de ce qu'on est en train de faire. Un frisson, un peu de fierté, et un petit coup de boost. Mais il faut vite se reconcentrer.

Car cette flèche nous envoie sur un chemin qui commence enfin à monter. Et du coup Heine me distance très vite sur ses grandes jambes. Le serpent de frontales est beaucoup plus épars que la 1e nuit, mais il y a du monde derrière, c'est rassurant. Je gère la fatigue dans la montée, et il m'arrive même de passer du monde, parfois, mais beaucoup plus me doublent (682e à Champex, 693e à Bovine).

Philippe (3634) et Cyril (3188) arrivent derrière moi dans la montée de Bovine en parlant d'altitude. Je leur dis qu'on est à 1830m, sauf erreur de mon GPS. On devrait donc arriver très bientôt au checkpoint de Bovine, et je comprends que les 150m de D+ annoncés dans la portion de descente sont en fait dès le début : le checkpoint n'est pas tout en haut mais 100 ou 150m plus bas, à l'abri du vent... On n'a donc pas fini de monter. On entend les cloches, puis on traverse un troupeau de vaches, fantômes sombres qu'on voit à peine, en plein milieu du chemin. Le coureur à côté de moi, pas rassuré, commente qu'il vaut mieux pas qu'elles soient méchantes. Je passe tranquillement, elles s'écartent pour nous.

On passe une petite tente, des lumières et des balises tout autour indiquent le chemin (il fait nuit noire maintenant, à presque 21h30), on ne fait que la traverser sans s'arrêter, pour se faire bipper, et on continue à monter. Je demande la distance restante et le bénévole me dit 5-6km, donc je table sur 6 (toujours être pessimiste). Mon GPS affiche toujours 5 bornes de trop sur la distance officielle, et avec le manque de lucidité je me dis qu'ils ne savent pas compter et je stresse, mais en fait ça vient plutôt des pertes de satellites dans les ravitos en dur :-). 


Après ça on monte encore 150m de dénivelé avant d'attaquer un faux plat parsemé de traversées de torrents et de rochers. Je suis seule dans le noir, ambiance fantomatique. J'en profite pour faire un arrêt technique, je m'écarte à peine du chemin (pas envie de faire la moindre distance en trop), il suffit d'éteindre la torche et je disparais soudain aux yeux des autres coureurs. Le gars qui était juste devant moi (je me suis arrêtée avant de le doubler) se retourne, sans doute surpris de ne plus entendre mes bâtons ou voir ma torche derrière lui, puis continue sa route. Je ne tarderai pas à le rattraper. Je trouve aussi un plan de course perdu par un autre coureur et le ramasse pour remplacer le mien.


Bovine - Trient (descente) - 6.6km - 144m+ - 811m-, durée 1h09

On attaque ensuite une vraie bonne descente technique, redoutée par beaucoup, et là c'est moi qui double tout le monde, d'abord en marchant vite, puis je relance en courant, abandonnant là le gars avec qui je discutais. "C'est un phare" commente un coureur en voyant la lumière de ma torche : "j'aime bien voir où je vais", je répond en continuant de plus belle sur le sentier technique. La descente est assez affreuse au début : gros cailloux, traversée de torrents sur blocs branlants, passage super raides, tout est humide de rosée, ça glisse... 

Puis on passe les fameuses "marches" dont quelqu'un m'avait parlé, de l'appréhension plein la voix, du coup je les avais imaginées en montée, mais en descente c'est assez épique aussi : des marches énormes, irrégulières, au point qu'il faut souvent planter les bâtons en bas pour s'aider à les descendre... Mais je me fais quand même plaisir, d'autant plus que je redouble ceux qui m'ont passée en montée, et d'autres.

Puis on rejoint une longue et large piste, parsemée de petits trains de coureurs agglutinés, sécurisés par la présence des autres. J'accélère, double un groupe après l'autre, récupère dans le confort d'un groupe avant de partir vers le suivant. A chaque fois il faut lutter contre l'envie de rester dans le confort et la lumière d'un train, contre l'inertie de suivre le rythme donné par le meneur d'allure, pour s'enfoncer à nouveau dans l'obscurité à la poursuite du train suivant. Puis les wagons se font de plus en plus distants et clairsemés, il n'y a bientôt plus que quelques wagons isolés, sur la large piste qui nous fait descendre jusqu'au Col de Forclaz.

On emprunte alors à nouveau un petit sentier, où je croise un bénévole/spectateur qui marche à l'envers et m'annonce "dans 10 mn la route". Je me dis que je n'ai même pas hâte d'y être, mais je regarde mon chrono par curiosité pour voir combien de temps je mettrai en vrai : pas loin de 20mn... mais je cours toujours. A l'arrivée à Trient, je suis passée de la 693e (Bovine) à la 670e place dans la descente. 


RAVITO TRIENT - KM138.9 - ALT 1300m - 12mn33 de pause

J'arrive à Trient à 22h53, avec l'impression (l'illusion ?) d'être plutôt en forme. Je décide de m'arrêter très peu de temps pour avoir de l'avance sur ceux que j'ai doublés, sachant qu'ils vont me re-rattraper dans la montée, comme ça je serai pas toute seule, et j'aurai du monde à doubler en descente. Je bois encore un bouillon de pâtes, finis les pâtes comme je peux avec les doigts, et embarque un stock de caféine sous forme liquide (V shoots) et gélatineuse (Mule gels café ! miam !), j'en mange un au ravito pour me lancer, et c'est déjà reparti !

Un arrêt express donc. Avec le recul, peut-être une première erreur dans une course plutôt bien gérée jusqu'à maintenant. Excès de confiance dans mon illusion de forme? Peur de me retrouver toute seule dans la montée? Manque de lucidité après 30h de course? 

BOSSE 2/3 TRIENT-CATOGNE-VALLORCINES

Trient - Catogne (montée) - 5.0 km 816m+ - 85m-, durée 2h02'31"
Après un départ enthousiaste, pleine de motivation et de caféine, j'ai tôt fait de m'écrouler complètement et d'avancer au radar. Un espagnol de passe en me demandant "t'es bien ?", je lui fais une vague réponse positive pas très convaincante, il se retourne encore "seguro?", cette fois je donne une réponse plus appuyée. Je ne sais pas d'où je la sors, car en fait je ne suis pas du tout sûre d'aller bien, je m'endors, j'ai du mal à respirer et à parler, donc même pas la peine d'espérer chanter, dommage ça m'aurait réveillée...

Je me rends compte que je n'ai plus aucune volonté, plus de motivation, j'ai juste envie de m'arrêter et de dormir, mais j'ai au moins la lucidité de savoir qu'il faut continuer d'avancer à tout prix. Je m'arrête d'avancer 2 secondes en appui sur mes bâtons mais je sens que si je ne repars pas immédiatement je vais m'endormir là et mourir de froid et je suis pas sûre de me réveiller...

Philippe et Cyril essayent de me repêcher dans la montée mais finiront par prendre de l'avance. Philippe me rattrape et me demande si ça va : "non, je suis complètement vidée, j'ai plus rien", il me dit que lui aussi (ça me rappelle l'échange de l'an dernier au retour au ravito des Contamines quand Patrice m'avait repêchée). Philippe me parle de loin en loin avant d'être hors de portée. Il discute avec Cyril d'une cabane qu'il croit voir en haut, et ça doit être là qu'on va, mais moi j'ai les yeux rivés sur ma montre, le dénivelé passe au compte goutte, 30m par 40m, ça n'en finit pas. 

Sur cette deuxième bosse de la nuit, c'est le contraire de Bovine, on monte d'abord tout en haut puis on commence déjà à descendre, le checkpoint est plus loin dans la descente. Sans doute placé là pour être à l'abri du vent. J'ai toujours pas sorti mon kway d'ailleurs, mais je ne crois pas que j'ai froid... il me semble que j'ai déjà mis mon bonnet sous la frontale, et mes gants. Une fois au sommet on commence donc à redescendre vers le checkpoint, et je dois repasser Cyril et Philippe quelque part dans ce début de descente, car le tableau des temps de passage dit qu'ils sont arrivés 10 mn après moi à Catogne.

Au checkpoint la bénévole dans la petite tente tout illuminée me bippe (je n'ai perdu que 3 places dans cette montée), et quand je lui demande elle me dit qu'il y a 5km de descente puis me pousse presque dehors, mais elle a raison, il ne faut pas s'attarder là, une seule chose à faire, redescendre. Moi qui avait attendu ce checkpoint comme une pause dans mon calvaire, je n'ai même pas le temps de réaliser que j'en suis déjà repartie...

Catogne - Vallorcine (descente zombie) - 5.3 km - 33m+ - 797m-, durée 1h36'08"

La descente qui suit est tout simplement in-ter-mi-nable. On entend des cloches, je sais pas si c'est des vaches où les encouragements qui montent du ravito. Mais on ne voit pas la moindre lumière de ville à l'horizon, rien que la nuit noire, et personne autour de moi. Je prie pour que quelqu'un sorte de la nuit, un bénévole, un spectateur, Mika ? J'espère à moitié qu'il vienne à ma rencontre, j'ai presque envie de l'appeler à la rescousse, mais ça serait tricher, et puis c'est à moi de trouver la force d'avancer. J'accueille néanmoins avec gratitude les moindres mots échangés avec les trop rares coureurs qui me doublent, pourtant limités essentiellement aux politesses de base, "salut", "pardon, merci", "courage"... A part ça, toujours personne autour, je suis toute seule dans la nuit à guetter des signes de vie.

C'est bien la première fois de ma vie que j'ai envie de pleurer dans une descente. Le début de descente est beaucoup trop technique pour mon état de forme : encore de gros blocs instables, une pente raide glissante, des traversées de torrents à gué, des racines, des marches... je glisse et manque tomber et j'en ai marre, je ne suis pas loin de craquer.

Je suis super en avance sur les barrières horaires, je n'ai pas à m'en inquiéter (ça me change), d'ailleurs je ne sais même pas à quelle heure est la barrière à Vallorcine. En fait elle est à 9h15 (d'après vérification post-course), ce qui veut dire que je pourrais parfaitement dormir toute la nuit et repartir demain, mais en même temps j'ai envie de faire un bon temps. Quand Bovine était passée à peu près bien je m'étais mise à espérer faire 36 ou 37 heures, ou peut-être au moins tenir ma prévision en 38h30. Mais ces objectifs s'éloignent à chaque pas un peu plus, tandis que je fais naufrage sur cette descente catastrophique (j'y perds 18 places). Il n'est plus trop question de faire un bon temps, et les objectifs de "performance" sont à double tranchant : formidable motivation quand tout va (relativement) bien, ils peuvent aussi générer une déception éventuellement insurmontable quand tout commence à aller de travers. Mais pour l'instant il n'y a pas le choix, il faut rejoindre le ravito suivant. Et une fois arrivée, il faudra que je "perde" du temps à dormir, "perte" de temps relative car potentiellement amortie par une fin de course plus rapide une fois reposée.

Enfin une dernière pente herbeuse, 

et je débouche sur la route, une barrière, une balise, un groupe de personnes, on me dit "non, à gauche", je comprends rien, je vois plus rien. Un gars vient me prendre par l'épaule, me parle, me guide vers la route, et je met un long moment à comprendre que c'est Mika, en fait... :-) il m'accompagne sur le bout du bitume jusqu'au ravito, j'ai les yeux dans le vide et je traîne mes bâtons par terre par les dragonnes, les spectateurs me félicitent mais j'ai plus la force de répondre, il faut que je dorme. Il me semble qu'on marche comme ça pendant une éternité sur le bitume à travers le village avant d'atteindre le ravito. 


Ravito Vallorcine - KM149.2 - ALT 1260m - 2h45du matin - 1h02'39" de pause

En entrant dans la tente je cherche la personne qui doit me bipper, je demande même aux filles derrière l'ordi du chronométrage, mais c'est comme à tous les ravitos, c'est automatique en passant sur le tapis... plus très lucide moi... Je traverse le ravito, assez vide, prend des tucs avec du fromage et du saucisson, tout ce que j'évite depuis le début de la course mais j'ai besoin de changement, puis je demande les kinés, on m'envoie en face dans la gare. Le toubib, Alain, m'offre un lit de camp et un massage, et j'essaye de m'endormir entre 2 coureurs qui ronflent, pendant qu'il me masse en discutant avec Mika, en leur demandant de me réveiller dans une demi-heure. Tiraillée entre "ne pas perdre trop de temps, pas besoin de dormir très longtemps pour que ça soit efficace" et "j'ai vraiment vraiment besoin de dormir ça sert à rien de repartir dans cet état". Puis je me dis que la dernière bosse sera plus sympa au lever du jour qu'en pleine nuit. Je somnole jusqu'à ce que Mika me réveille à 3h22, je me lève et crampe immédiatement... 

Passage aux toilettes puis retour dans la tente du ravito pour un bol de soupe, emporter des barres salées pour la route, des gels au café, et le reste de ma bouteille de powerade (je bois moins la nuit...). J'ai vraiment du mal à repartir. Du coup j'essaye de me donner du courage en m'habillant très chaud, je mets le collant long, la polaire, le buff en polaire, bonnet et gants (et j'oublie que je porte toujours pour rien dans mon sac un collant plus léger et un t-shirt long devenus redondants). Comme j'ai dû enlever mes chaussures pour passer mon collant long, j'en profite pour en changer aussi, l'amorti commençant à bien se tasser, je repasse sur les Mizuno bleues que je portais la 1e nuit. Le luxe quand même de pouvoir changer de chaussures 3 fois pendant la course ! :-)
Je n'ai plus re-rempli ma poche à eau depuis que Mika l'avait fait pour moi à Champex (je crois), pas bu bcp d'eau plate cette nuit.
 
Je quitte le ravito super couverte, avec Mika (encore plus couvert ^^), il fait drôlement froid dehors maintenant. Il fait quelques centaines de mètres avec moi avant de faire demi-tour. On passe devant un grand feu de joie à la sortie du ravito, tellement beau, et sa chaleur est tellement attractive, mais je dois résister. Mika essaye aussi de me dire que c'est une mauvaise idée, mais je m'en approche, un peu, beaucoup, encore plus près... et repars quand même sans m'arrêter.


BOSSE 3/3 VALLORCINES-TETE AUX VENTS-CHAMONIX

Vallorcine - Col des Montets - 3.7 km - 196m+ - 0m-, durée 48'07"

La première partie de la montée est facile et passe très vite. Je suppose qu'on est au Col des Montets quand on traverse une route avec quelques bâtiments et un parking plein de monde, avant d'attaquer un chemin en face. Cette bosse passe relativement vite. J'avais joué à me faire peur avant en imaginant la montée finale de 1000m (exprès, pas de faux espoirs) alors qu'en fait c'est 950m D+ sur la dernière étape, mais 250 pour le col déjà, puis 600m seulement pour la Tête aux Vents, et 100m de plus pour la traversée vers la Flégère. Du coup forcément ça passe plus vite que prévu, et c'était le but ^^

Bref arrivée au col j'ai déjà beaucoup trop chaud, j'enlève ma polaire, mets le buff et les gants dans ses poches, et la tasse tant bien que mal sur le côté de mon sac. C'est là que je réalise que j'aurais dû sortir quelques vêtements moins chauds devenus inutiles et que je porte toujours (matos obligatoire en fond de sac, un peu moins chauds et redondants avec ceux que j'ai maintenant sur le dos).

Col des Montets - La Tête aux Vents - 4.0km - 661m+ - 0m-, durée 1h47'14"

Dans la montée je commence par dépasser des gars, puis je fais loco pour 2-3 gars qui s'accrochent à moi. Je me sens bien et je me félicite d'avoir pris le temps de me requinquer. Quand mes doigts recommencent à geler je repêche mes gants dans la poche de ma polaire et les enfile. Puis je réalise d'un coup que je commence à m'endormir de nouveau, sans m'en rendre compte je laisse de nouveau mes bâtons traîner par terre derrière moi, et leur cliquetis finit par remonter à mon cerveau. Je commence aussi à avoir vraiment faim, je m'arrête carrément (c'est rare), une dizaine de gars qui suivaient pas loin en profitent pour me rattraper et s'éloigner devant, je prends le temps d'enlever un gant et sortir un gel, je ne trouve plus que pomme strudel (j'ai dû finir ceux au café dans la bosse précédente), l'ouvre avec les dents et le sirote en avançant. 

Vers le haut la montée devient de plus en plus compliquée, dans des gros blocs, puis des marches taillées dans le roc, des bouts d'escalade, on dirait la section de l'Obiou que j'avais adorée, mais en pleine nuit avec 150 bornes dans les jambes ça m'amuse un peu moins bizarrement... mes bâtons me gênent un peu aussi. Difficile de naviguer dans tous ces blocs des fois, de trouver le meilleur chemin dans le noir, heureusement qu'il y a quelques balises mais perso j'en aurais bien voulu un peu plus.

En haut dans le vent j'ai re-froid et je remets ma polaire, j'arrache un côté de mon dossard en remettant la ceinture par dessus la polaire, mais je le laisse comme ça pour l'instant, en comptant m'en occuper au ravito. Puis on arrive sur des gros cairns et je pense avoir atteint le sommet. Je regrette qu'il fasse nuit, me disant que j'adorerais sûrement me balader dans ce coin de jour. Mais un peu plus loin un jeune bélévole (gendarme de montagne je crois) m'accueille et me bippe à la Tête aux Vents, à 6h23 du matin. Je lui demande de me raccrocher mon dossard puis je continue mon chemin.



La Tête aux Vents - La Flégère (balcon) - 3.0 km - 10m+ - 274m-, durée 52'
Il ne me reste maintenant plus qu'à traverser vers La Flégère, un sentier en balcon descendant de toute beauté, que j'avais parcouru sur le marathon du Mont Blanc. En plus, pour ne rien gâcher, le soleil commence à se lever et nous offre un spectacle sublime, dont on ne profite que mieux avec 160km dans les jambes, et la perspective d'une arrivée triomphale imminente. C'est tellement beau que pour la première fois de la course, je prends le temps de sortir mon téléphone pour quelques photos. J'y passerais bien la journée, et je suis presque jalouse du randonneur qui vient de monter et qui va profiter du spectacle toute la matinée. Mais j'ai quelque chose à finir !




Je discute en anglais avec 2 coureurs pendant un moment, on admire le paysage, une cascade dévale dans une faille de la falaise à notre droite, tandis que le soleil se lève sur le Mont Blanc à notre gauche. Puis j'essaye de me forcer à trottiner pour profiter vraiment de cette fin de course, et je les sème. Je lance de la musique sur mon téléphone pour me motiver.

La Flégère - Chamonix (sprint final) - 7.8km - 100m+ - 928m-, durée 1h
Le ravito de la Flégère est bien vide, c'est à peine un ravito, plutôt juste un checkpoint. Je traverse une tente presque vide sans m'arrêter, me fait bipper (7h09 du matin, 734e place, altitude 1860m). J'avale un V shoot pour bien me réveiller avant la descente finale, mais aussi et surtout pour le sucre (j'ai faim !). A la sortie de la tente, il reste un petit bout de remontée sur piste, puis on bascule dans la descente, sur la large piste. J'y vais A FOND ! A un moment la large piste s'incline bien et je dévale à toute vitesse, quand soudain j'arrive sur un bénévole qui nous indiquait de tourner à gauche dans un petit chemin qui coupe les lacets de la piste, l'air tout étonné de me voir débouler comme ça avec un grand sourire :-D

Je m'arrête le temps de me créer une mini-playlist spéciale (unfaithful, titanium...) et repars à fond, je dévale le sentier entre les arbres, saute les bosses et les racines, je suis juste survoltée. En plus je double, et aussi croise, énormément de monde. Les coureurs que je passe sont pour la plupart cassés, avançant difficilement, en boitant parfois, sur la piste qui nous ramène à Chamonix, je les encourage au passage. Les spectateurs me félicitent et m'encouragent, j'ai droit à un "allez gazelle !" au passage, un autre commente que je "tricote" bien :) Tout ça me donne la pêche, même si je dois ralentir de temps en temps pour récupérer.

Je traverse une cour / un jardin (La Floria), où un homme me dit qu'il ne reste que 3km. 

C'est à la fois beaucoup et tellement peu. Plus que 3 km de souffrance avant d'atteindre enfin l'objectif, mais aussi plus que 3 km pour profiter de ces moments inestimables où l'on sait qu'on a gagné, qu'on va finir, qu'il ne reste plus qu'à profiter, où l'on court en plein bonheur. 

Chamonix, altitude 1035m - arrivée
Et puis je débouche en ville, les policiers qui font la circulation pour nous m'indiquent le chemin, il faut traverser le pont, puis je reconnais la longue traversée de la ville de l'an dernier, tout le monde dort encore, il n'y a pas grand monde, mais on m'encourage. Un petit groupe rassemblé derrière une barrière me tend des mains à taper au passage, j'attend la musique, je guette les chariots de feu, mais je n'entend rien de rien... j'aurais dû la mettre dans le walkman...

Et j'arrive en sprint, j'ai la pêche ! 

Accueillie par le speaker qui me demande comment s'est passée la nuit, je répond que "la nuit je préfère pas en parler, mais ce matin lever de soleil magnifique sur le Mont Blanc", 
puis il me pose encore 2-3 questions au micro et tout, et me montre mon classement sur l'écran géant, 282e senior homme, je lui fais remarquer, ça fait bien rigoler tout le monde ^^
Puis je récupère mon gilet finisher et retrouve Mika à la sortie de l'aire d'arrivée.

Chamonix - Post course
Je passe au ravito pour une pomme et une boisson de récup mais c'est au lait donc berk en fait. 

Mais on passe à la boulangerie super bien placée sur la ligne d'arrivée :) avec une armée d'autres finishers qui ont eu la même envie ^^ pour une tartelette aux framboises, et 10 mn plus tard pour une autre aux abricots, les autres pour des croissants / pains au chocolat. Je reste un moment debout aux barrières à applaudir les finishers puis le besoin de m'assoir se fait sentir. J'aimerais bien recourir l'arrivée mais avec les Chariots de feu, maintenant qu'ils ont allumé la musique (je suis arrivée trop tôt...). En fait j'ai super envie de courir et de sauter partout, je suis pas encore redescendue de mon nuage, j'ai la super pêche. 

Direction le gymnase pour une douche (aïe, quelques brûlures), je claque des dents 5 bonnes minutes dans le vestiaire en sortant, puis je mets mon collant long et mon surpantalon parce que j'ai trop froid et je n'ai rien d'autre à part des shorts... 

Puis direction la kiné, qui admire mes muscles encore très souples ("j'aurais pas deviné que tu venais de courir 170 km"), puis c'est le podo qui passe par là qui admire mes pieds même pas inflammés (j'y ai un peu mal quand même, ils ont bien chauffé) et note que j'ai un grain de peau pas favorable aux ampoules, chance. 
Je suis toujours en pleine forme, on va s'assoir sur le mur au dessus de l'eau pour voir passer les finishers, Thierry vient de passer pendant que je me faisais masser, zut... il nous rejoint pour encourager les suivants, puis on va à la pasta party, plâtrée de polenta avec du poulet, miam, ça change des pâtes. Plus pain, fromage, riz au lait pour le dessert, je reprends des forces ! Puis juste quand je commentais combien j'étais étonnée de n'avoir toujours pas sommeil, je tombe, pousse mon plateau et m'endors sur la table en pleine conversation :-) 5 mn, puis c'est Hyacinthe qui arrive, donc on va le rejoindre sur la place. et là aie aie aie, de 1 j'ai la tête qui tourne dès que je me lève (malgré le repas consistant pourtant), et de 2 mes genoux me crient dessus (je l'ai bien cherché un peu ^^).

On assiste à la remise des prix, 
tous en gilet finisher comme il se doit, 

et on fait quelques dernières photos finish

avant de reprendre la route pour Grenoble. Eh oui, lundi c'est la rentrée !

UTMB 2013 - chapitre 3

je m'y remets en 2014, il est temps avant de courir l'édition suivante. Eh oui, j'ai encore gagné au tirage au sort :-)

DANS L'EPISODE PRECEDENT
Après une pause de 50mn à Courmayeur (pile comme prévu dans mon plan ! ^^) je disais au-revoir à Mika (que je n'allais pas revoir pas avant une longue traversée vers Arnuva) et c'était reparti. Au-revoir Courmayeur et le fond de vallée, direction les crêtes !

UTMB 2013, CHAPITRE 3 : de l'Italie à la Suisse, une journée ensoleillée en montagne
Courmayeur - Refuge Bertone - 4.9km - 816m+ - 32m- - durée 1h24

A la sortie de Courmayeur (8h15 du matin), c'est un mur qui nous attend. Il faut dire qu'on est en fond de vallée (Courmayeur, altitude 1200m) et qu'on doit remonter sur les crêtes. Bien requinquée par cette pause et par le retour du soleil, je monte à bonne vitesse dans un petit train, dont c'est moi qui fais la loco, pour une fois :-) mais c'est plutôt motivant, à la fois l'émulation du groupe, la fierté de tirer tout le monde, et la peur d'être trop lente et de finir par me faire doubler. On est survolés par un hélico de la télé (je suppose) qui tourne autour de nous un bon moment, à en camoufler ma musique que je n'entends même plus. 

Refuge Bertone - 5'06" de pause - km82 - alt 1989m - 9h40 du matin

En haut du mur on arrive au ravito du refuge Bertone, pause sur les quelques tables en terrasse au soleil.

Des gars qui ont fait la CCC l'an dernier (qui part de Courmayeur et fait à quelques détails près la fin du parcours de l'UTMB) stressent en se demandant si on va monter à je sais plus quel sommet, Tête quelque chose. Je n'en suis pas trop sûre mais je leur dis qu'il me semble que non, c'est plutôt une traversée en crêtes qui nous attend maintenant. Je ne m'attarde pas et repars.

Refuge Bertone - Refuge Bonatti - crêtes - 7.3 km - 280m+ - 244m-, durée 1h21 

J'attaque la traversée à bonne allure, j'aime les chemins de crête. On se balade en balcons face au Mont Blanc, les vues sont magnifiques, et en plus on a vraiment de la chance avec la météo (pour changer de l'an dernier)



Je suis presque seule, je vois quelques gars de temps en temps, on avance tous plutôt bien, sans s'épuiser et en profitant de la vue. Mais au bout d'un moment ça commence à s'éterniser, la traversée dure bien plus longtemps que prévu, alors que je n'ai pas l'impression de traîner. Comme dirait un autre coureur, "le chemin devient tellement long que j'en viens à penser que le refuge Bonatti a été... déplacé. Ou téléporté. Ou même détruit."
Puis enfin le voilà, il est en vue, perché un peu plus loin. Ouf !

Refuge Bonatti, km89.3, altitude 2010m - ravitaillement - 5'29" de pause - 11h05 du matin

Je m'assied dehors sur un banc à une table de la terrasse, au soleil, pour souffler un peu. Je file un coup de main à un gars qui à l'air d'avoir besoin d'aide, en fait il peinait à mettre ses manchettes dans son sac.

Je croise à ce ravito Lionel Bozon (695), le frère de Frédéric du ravito de Vif de l'UT4M : le monde est petit ! Merci d'ailleurs aux bénévoles de l'UT4M qui m'ont envoyé des SMS de soutien sur l'UTMB ! Je discute donc un peu avec Lionel, qui pense qu'on est maintenant trop en retard pour finir en moins de 36h. Je suis presque déçue, car à ce moment et vu ma forme je me prenais à rêver à une arrivée en 37h, pasque ça porte chance 37 :-) Par contre il pense qu'il faut faire le Grand Col Ferret avant 14h30, parce que même si on sera au frais en haut, il n'y a pas d'ombre sur la montée. C'est donc son prochain objectif, et je décide de m'y tenir moi aussi, ça me semble largement jouable, vu que ça laisse plus de 3 heures pour les prochains 10km avec environ 800m+.(Finalement Lionel arrivera 1h avant moi à Chamonix, alors qu'il avait quasi 2h d'avance en haut de Catogne)

Refuge Bonatti - Arnuva - 5.2 km - 105m+ - 334m- - durée 53'
Une dernière petite montée après le refuge, avant de basculer sur la descente vers Arnuva. Il commence à faire chaud, et j'attends avec de plus en plus d'impatience ce prochain point d'assistance où je dois enfin retrouver Mika après une longue journée. A mon grand regret, il est difficile de doubler sur les petits singles, mais c'est assez court finalement, et on arrive à Arnuva sur une dernière petite descente justement.


Ravito ARNUVA - KM94.5 - ALT 1769m - pause de 14'15" - midi

Il est environ midi et je commence à fatiguer. Je traverse la tente du ravito en express, attrapant juste quelques quartiers d'orange au passage (avec la chaleur, c'est tout ce que j'ai envie d'avaler), et ressors retrouver Mika, qui n'a pas accès à la tente (pour limiter la cohue aux seuls coureurs, mais l'avantage de ne pas être trop en fin de peloton c'est qu'il n'y a pas trop de monde). Par contre dehors il y a foule, c'est un point d'assistance, d'accès assez facile, et de nombreuses familles et amis sont là pour encourager leur coureur ou les coureurs en général.
                                            
Je m'assieds donc dans l'herbe avec Mika quelques mètres plus loin, en picorant quelques fruits secs de mon ravito perso, mais surtout à ne rien faire, ce qui est assez mauvais. C'est tellement agréable de se retrouver enfin assis et de se reposer, que si on ne se fixe pas un délai pour repartir ou une liste de choses à faire, on a vite fait de comater dans un état second et de juste laisser passer le temps. Heureusement, un coureur passe sur le chemin devant nous et me lance "il faut repartir, là", je lui répond "t'as raison" et me lève aussitôt, assez traîné ! 

Mika m'accompagne un petit bout de chemin, on traverse un pont sous l'objectif d'un photographe officiel bien placé. 

On arrive très vite au début de la montée vers le Grand Col Ferret. Un coureur chanceux passe avec toute une bande de potes qui ont organisé une rando de groupe pour faire toute la montée avec lui. L'accompagnement en course et l'assistance hors zone sont interdites mais qui va venir vérifier et appliquer... Mika monte avec moi sur les premiers mètres pour faire des photos.


ça fait du bien d'être accompagnée pour repartir, parce que ça monte vraiment dur...

Et le col visible loin, très loin devant, dans un pays fort fort lointain (la Suisse), et surtout beaucoup plus haut (c'est le point culminant de la course à plus de 2700m d'altitude) n'est pas rassurant du tout vu d'ici...

Puis on s'en tient au règlement et après quelques photos je laisse Mika repartir, lui aussi a de la route à faire avant de me retrouver à Champex.

Arnuva - Grand Col Ferret (Suisse) - 4.5km - 754m+ - 15m-, durée 1h36

Je me retrouve donc toute seule, un peu triste. D'autant que je commence à être vraiment fatiguée de monter, et je sais que je vais souffrir. J'ai l'impression de me traîner, et par rapport aux autres je me traîne effectivement plutôt. Mais en fait j'avale les 800m+ en un peu plus d'une heure trente, soit encore 500m/h de vitesse ascensionnelle, c'est pas si mal avec 95 bornes dans les jambes :). D'ailleurs je double encore les "randonneurs normaux" :-)

Enfin tous, sauf un : un randonneur (un vieux monsieur avec un accent suisse) me dépasse puis m'encourage plusieurs fois, de loin en loin, puis me laisse le dépasser quand on arrive sur un replat final en vue du col (qu'il m'indique) et que je peux enfin accélérer. 

J'arrive donc au col juste avant 14h (99km, 2537m d'altitude), objectif réussi, et heureusement, parce qu'effectivement ça chauffe !  

Je ne m'y arrête même, les bénévoles nous bippent et nous poussent directement dans la descente. Et je bascule donc en Suisse. Quelques mètres plus bas j'entends "allez Carole", je met une éternité à comprendre qu'on me parle à moi, et que c'est le même randonneur, je me retourne enfin pour le saluer, je le vois sur l'arête, mais je ne sais pas si lui me vois. Merci à retardement !

Grand Col Ferret - La Peule - La Fouly - 9.4km - 148m+ - 1073m-, durée 34'28" + 1h03

Nous voilà en Suisse, ses pentes verdoyantes, ses vaches, ses supporters sympathiques. Une longue et plutôt agréable descente nous attend sur une large piste sans arbres, au milieu des champs de vaches. Il n'y a pas tellement de pente, en temps normal ce serait un bonheur à courir, mais la fatigue se fait tout de même un peu sentir, et il devient difficile de se motiver à courir vraiment. Je trottine donc en alternance avec de la marche, en essayant de faire taire les points de côté et autres douleurs abdominales exacerbées par les chocs de la descente. Par contre les jambes ça va toujours.


Au bout d'une demi-heure de descente, je passe un bénévole signaleur posté au détour d'un lacet, non loin d'un refuge avec plusieurs tentes, et lui demande s'il y aurait des toilettes. Il m'envoie dans la cour du refuge, un petit détour hors-course de 2mn, sous les encouragements ou les regards incrédules des randonneurs attablés en terrasse par cette belle après-midi.

Puis c'est reparti, je me sens beaucoup mieux pour me lâcher dans la descente sur la large piste. Par contre je n'ai rien avalé depuis Arnuva où j'avais pris quelques fruits secs assise dans l'herbe. Plus grand chose ne passe à part la boisson énergétique, et avec cette chaleur je suis tombée en panne tout à l'heure, ma bouteille est complètement vide...

En plus la course traverse bientôt la cour de graviers d'une petite auberge / refuge / bistrot de montagne, un seul gars est attablé sous un parasol, et un panneau propose des glaces :) ça donne envie en plein après-midi, il est un peu plus de 15h et il fait chaud. Sur le coup j'ai bien envie de passer commande de sorbet à Mika par SMS, mais je me dis que d'ici que j'arrive à Champex, le prochain point où je le retrouve, ce sera le soir et j'aurai déjà beaucoup moins envie d'une glace, et plus envie de grillades ^^

Je continue donc ma longue descente, à 6km/h de moyenne, pendant laquelle je passe quand même de la 787e à la 760e place, regagnant donc les 21 places perdues dans la montée du col, et même un peu plus (merci Livetrail, dossard 1860).

Ravito La Fouly - KM108.4 - ALT 1598m - pause 14'29"

A 15h34, j'arrive en vue du ravito de La Fouly, une grande tente blanche rectangulaire, plantée au milieu de l'herbe, et relativement vide, aucune cohue, quelques tables bien organisées. Je suis vraiment assoiffée et je me demande s'ils me laisseront remplir mon bidon avec de la boisson énergétique, vu qu'elle est normalement à consommer "sur place", mais je n'ai plus de tablettes sur moi pour en refaire moi même... Je peaufine mon argumentaire depuis des kilomètres déjà - c'est marrant comme sur de telles distances l'esprit parfois s'accroche à des détails sans importance pendant des heures, comme s'il préférait se perdre dans de savants calculs pour oublier la douleur. Mais finalement on me le remplit au sirop et avec le sourire :-)

Je descend aussi coup sur coup 3 verres de sirop puis je vais m'assoir un peu, avant que la vision du stand overstims arrive jusqu'à mon cerveau et qu'il finisse d'analyser l'information. Je vais donc leur parler de mes problèmes de digestion. Le gars me passe un genre de bouillon de légumes en me disant que je dois être passée en intolérance au sucre. Assoiffée, je bois, le goût n'est pas transcendant mais si ça passe et que ça apporte un peu d'énergie à mon corps... Puis il me donne encore des bouts de barre salée et une barre aux amandes pour la route, et je repars avec ces provisions et ma bouteille de grenadine. 


La Fouly - Praz de Fort - 8.4 km - 110m+ - 549m-

Et c'est reparti pour de la descente ! Très vite, je rattrape une fille (une fille ! je n'en ai pas vu beaucoup jusqu'ici...) ou l'inverse, je ne sais même plus. Toujours est-il que je me retrouve donc à courir avec Emilia (dossard 928), on discute un peu pendant un bon moment. Elle descend bien donc je m'accroche à elle pour me motiver à ne pas marcher. A ce stade tout est dans la tête, le cerveau a vite fait de convaincre les jambes, et si on ne se force pas en permanence, on a vite fait de se retrouver à marcher sans même s'en rendre compte... Discuter avec d'autres coureurs embarqués dans la même galère aide donc à garder le rythme. Emilia, donc, vient de laisser son copain au ravito, il a cassé un bâton, a mal et hésite à abandonner. Elle a fait la CCC il y a 1 ou 2 ans donc elle me raconte la bosse qui arrive, raide, elle n'a pas aimé, et ça me fait peur...

Puis finalement c'est elle qui décide d'économiser ses cuisses et me dit de partir devant... Je suis un peu surprise vu que j'avais l'impression de m'accrocher à elle plutôt que l'inverse, mais requinquée par le bouillon Overstim's, j'en profite pour accélérer. Sur un petit sentier dans l'herbe, un jogger nous double en courant avec une grande facilité et une belle foulée, et disparaît à droite entre les arbres. Je lance aux spectateurs rassemblés dans le virage "moi aussi je courais comme ça il y a 100 km !", avant de continuer ma route sans aucun espoir de m'accrocher à lui ^^.

Praz-de-Fort - Champex - 5.6 km - 445m+ - 141m-

On traverse le petit village de Praz de Fort, on court sur de la route un petit moment. Quelques familles et amis profitent de cet accès facile en voiture pour venir y retrouver leur coureur. Des gamins du coin ont monté un petit "ravito" sauvage, ils proposent inlassablement "vous voulez boire de l'eau?" à tous les coureurs, ils sont tous petits et trop mignons ! Mais personne n'a vraiment soif à ce moment, le prochain ravito n'est plus très loin, et on passe en les remerciant.


Je retrouve Guillaume (dossard 4729), avec qui j'avais couru sur le Maratrail de Chartreuse. C'est lui qui me reconnaît, je ne suis déjà pas physionomiste en temps normal, alors avec 25h de course dans les jambes, et dans le cerveau... Et puis il faut dire que c'est plus facile pour les mecs de se rappeler des rares filles que l'inverse. On fait un petit bout ensemble mais il va plus vite que moi. (Je le repasserai bien plus tard dans une descente de Bovine.)

Après 10.5 km de descente depuis La Fouly (en 1h32, c'est mieux !) on attaque la bosse finale vers Champex, redoutée depuis si longtemps. Finalement, elle n'est pas si pire qu'annoncée par Emilia. Je préfère me faire peur à l'avance et avoir finalement une bonne surprise, l'inverse par contre est vraiment très dur pour le moral ; on se programme tellement pour passer une certaine distance, un certain déniv, un certain temps de course, que toute mauvaise surprise est vraiment difficile à gérer. Bon, il y a quelques passages raides mais je serre les dents et j'avance, en pensant à Mika qui m'attend en haut, j'ai hâte d'y être. J'avale les 3.6 km (et 400m+) en 59'19", pas si mal. Et j'ai pris plus d'1h30 d'avance sur mon plan de course... :-o

Alors qu'on arrive au bout de la montée, les spectateurs sont de plus en plus nombreux dans l'herbe sur le côté. Un couple est assis dans une couverture à gauche du chemin, et je leur dis "on se rend pas compte nous qu'il fait si froid" en arrivant dans mon mini short et t-shirt... ça les fait rire ^^ 

Puis je débouche au sommet dans une immense foule massée pour nous accueillir, et toujours Mika pour crier "aller Carole!" et faire des photos. Yay ! ça c'est fait !


Base Vie Champex-Lac - KM122.4 - ALT 1477m - 18h20 - pause 45'29"

Une grande salle où pour une fois les équipes d'assistance sont les bienvenus, de longues tables et des bancs, une fanfare qui joue au bout de la salle, et les cuisiniers qui nous préparent des pâtes chaudes avec de la sauce bolo dessus, de la vraie viande, un luxe ! J'en mange une assiette et hésite presque à en reprendre un peu. Mais il ne faudrait pas repartir l'estomac trop lourd et risquer des problèmes. Vu que le sucré ne passe plus je vide mes poches de toutes les barres sucrées que je portais, et les remplace par des gels à la caféine, un V shoot, et des barres salées.

Pendant ce temps (je le vois après sur livetrail), Emilia arrive à Champex 22mn après moi, mais en repart 3mn avant, avec une pause de seulement 20'. Moi je prends mon temps, une bonne pause de 45' dans cette salle très sympa (la fanfare, le fait que les assistants puissent rentrer aussi), vraiment un super accueil, vive la Suisse ! :-) Il faut se requinquer avant le dernier gros morceau, le dernier tiers de mon plan de course, les trois bosses finales. Bon, en y réfléchissant un peu, il reste encore 45km, soit plus qu'un marathon, et qui plus est assaisonnés de 2750m de D+. Mais justement, réfléchir, il ne faut surtout pas, ou pas trop. Il faut se concentrer sur des étapes gérables pour ne pas se décourager. En l'occurrence, ma prochaine étape c'est la 1e bosse, Bovine, 750m+, et la descente jusqu'à Trient où je pourrai déjà retrouver Mika. Les points d'assistance sont maintenant beaucoup plus rapprochés en cette fin de course.

Je me change pour la nuit, je remets le même t-shirt thermique que la nuit dernière, que j'avais laissé à Mika ce matin pour le faire sécher, plus mon t-shirt de course par dessus, et le bonnet. La frontale dans la poche côté pour être à portée de main (histoire de ne pas procrastiner pour la sortir cette fois), de même que le k-way, sinon je sais très bien que j'aurai la flemme de m'arrêter pour le sortir. Au bout d'un moment la force d'inertie devient irrésistible, on préfère crever de froid que s'arrêter pour passer une veste, on préfère avancer dans le noir que s'arrêter pour sortir une torche, on peut mourir de faim mais ne pas vouloir fouiller pour trouver une barre, tout devient difficile, seul le pilote automatique nous fait avancer, mais il est fourni sans options.

Puis vient le moment de repartir. Le jour a bien baissé pendant cette longue pause, et je repars dans la lumière du soir, frigorifiée en tremblant et claquant des dents, mais je sais que ça va passer. Mika m'accompagne un petit peu, on profite des derniers rayons du soleil en longeant le lac. Ah oui, tiens, un lac, c'est donc pour ça que la ville s'appelle Champex-Lac, on était si près et je ne l'avais même pas encore vu... Après quelques dizaines de mètres, Mika traverse la route pour retourner à sa voiture, et j'engage la discussion avec Heine (dossard 759), un coureur Danois. Notre objectif : atteindre Bovine avant la nuit.

Allons-nous y arriver ? La suite au prochain épisode ! :-D